Miror's Sessions à l'Alb'Oru
Le portrait selon Antoine Giacomoni
Miror’s Sessions à l’Alb’Oru
Le portrait selon Antoine Giacomoni
« Lupinu -London- Paris » Ce titre de la dernière exposition photographique d’Antoine Giacomoni illustre bien itinéraire du célèbre photographe corse. Lupinu parce qu’on y voit d’émouvants portraits d’ici. London, Paris parce qu’ainsi se résume son travail auprès des stars. Des portraits en noir et blanc, œuvrés grâce à une invention d l’artiste.
Miror’s Sessions mérite un rappel ou une définition de la méthode d’Antoine Giacomoni pour ceux qui l’ignorerait. La personne à photographier est placée devant un miroir entouré d’une rampe de lumière constituée d’ampoules électriques. Intérêt du procédé : des portraits épurés qui envoient sur les pupilles du photographié d’étranges petits carrés qui interpellent ou réconfortent, surprennent ou déstabilisent. C’est selon… mais qui toujours approfondissent les regards tout en leur insufflant de la vie.Résultat d’une commande le la ville. Une commande qui selon l’artiste, est un acte d’amour auquel il doit donner le meilleur de lui-même, un exercice auquel il ne doit pas omettre que chaque visage est une histoire.
L’attachement d’Antoine Giacomoni pour Lupinu est ancien puisqu’il date de son enfance et de son adolescence après avoir vécu ses premières années dans une bergerie de Borgo. On commence la visite par un portrait de Laurent Tamburini, digne et réservé, qui chaque jour va sur la tombe de son épouse. Autre facette du peronnge c’est un self made man dans le commerce du bois. Avec des bigoudis surannés et une tenue d’intérieur antédiluvienne il y a cette femme représentative d’une antique génération qui vaquait le samedi à ses commissions dans le quartier. Qui aurait aujourd’hui l’idée de se « chapeauter » de la sorte pour sortir ? C’était un autre temps. On enchaine sur un patron de Bar de la République du maquis. Existe-elle- encore ?
Une dame aux traits lis nous accueille ensuite. Sa très petite taille lui a interdit de quitter son appartement. Peur des moqueries ? Alors elle veille à la fenêtre vêtue de son tablier de ménagère. D’elle on passe aux deux frères épiciers qui nourrissaient le quartier et l’on découvre la bouleversante la photographie de Marguerite Alessandri, épouse de Pierre Louis. Antoine Giacomoni a fait merveille avec elle : tétraplégique, il la restitue debout. Elle est si belle et si sereine. Les sœurs Grazi viennent à sa suite nous surprendre avec ce qui doit être des cigarettes en chocolat d’antan. Première leçon d’aptitude à la cigarette. Drôle d’époque… L’une des sœurs Grazi a le teint clair l’autre a la peau mate. Puis c’est au tour de Nénette qui arbore les gigantesques ciseaux de tailleur de son père. Des tailleurs il n’y en a plus… On reconnait facilement Tzek et Pido qui ont fait rire tant de monde. Visage bien connu de Paul, vendeur toujours de bonne humeur au « Systèm U », qui pose avec sa femme pour leurs 25 ans de mariage.
Le photographe aborde également les terres de l’enfance : émouvant bébé-fille dans les bras de son père. Elle est comme le symbole de l’innocence. Survient à ne pas manquer une fillette de 6 ans qui allie air de gentillesse mêlé à beaucoup de gravité, comme veillée à l’arrière-plan par une étrange boule… visible sur la photographie absente dans la réalité… Mystère !
Aux 15 images de Lupinu succèdent 15 portraits de stars qui vont de Sylvie Vartan à Adjani, de Nico à Leone Lovitch, de Lou Reed à Marianne Faithfull et bien d’autres.
Michèle Acquaviva-Pache
• Jusqu’au 21 janvier
ENTRETIEN AVEC ANTOINE GIACOMONI
Dans quel état d’esprit est-vous quand vous photographiez un portrait ?
Devant un portrait je sais qu’une personne ne montre que l’iceberg qui est en elle. Or, moi c’est l’intérieur de ce qui est en elle qui me passionne. Ses traits ne relèvent que de l’esthétique. Ce que je veux c’est faire basculer le ou la photographié(e) dans le mystère. Il y a là un côté métaphysique. L’image est inséparable de la pensée… Un jour peut être pourra-t-on lire dans la pensé.
En quoi photographier des habitants de Lupinu vous émouvait plus qu’ailleurs ?
Il me fallait replonger dans des repères géographiques connus tout en ayant un regard neuf. Je voulais aussi les mettre au diapason des stars. Il n’était pas évident de les voir intégrer le miroir. La star cultive une apparence publique et ce que je cherche c’est son authenticité. Certains habitants de Lupinu je les ai connus enfants, il n’était donc pas simple de travailler avec eux… Mais tout le monde a fait de son mieux, même le bébé dont les yeux ont été pris dans le miroir.
Y-a-t-il des portraits plus difficiles à réaliser ?
Non.. et oui ! Ce n’est jamais gagné d’avance. La veille d’une séance j’anticipe toujours. J’ai mon rituel et il est sacré. Photographier un visage doit être un moment partagé Je ne faisjamais de photos à l’insu des gens.
Qu’a changé votre invention du miroir magique ?
Il m’a révélé à moi-même. Il fallait que je l’invente pour sortir du traditionnel. C’était une façon de renouer avec la modernité, celle de l’électricité. Le miroir bordé d’ampoules c’était apprivoiser la lumière tout en obtenant de la douceur… J’avais 22 ans quand j’ai réalisé mon invention.
Ce dispositif est-il sophistiqué ?
Il est minimaliste mais c’est un défi à ma créativité. C’est comme une malle au trésor où l’on découvre des dispositifs au service d’un magicien et cela m’oblige à me dépasser… à aller chercher le mystère de la personne et sa beauté intérieure. Le miroir entouré d’ampoules je l’ai inventé pour la chanteuse Nico. Il fallait qu’elle regarde à l’intérieur et qu’elle voit les carrés qui venaient illuminer ses pupilles. Dans le miroir magique on se dédouble comme si on était quelqu’un d’autre.
Stars ou humbles vous êtes à la recherche de leur signes distinctifs ?
Amanda Lear, par exemple, c’est son sourire qui la distingue. Ce sourire je devais le capter pour savoir ce qu’il recouvrait. Même chose chez Sandrine Bonnaire. Sylvie Vartan était arrivée au studio bien apprêtée. Je lui ai demandé si je pouvais l’ébouriffer un peu. Elle a accepté quand mon chat s’est blotti sur ses genoux ! Quand je photographie, j’ai toujours mon mot à dire. A Christophe j’ai réussi à lui faire enlever ses lunettes bleues. Gainsbourg voyait dans mes photos ma signature.
N'avez-vous pas été tenté par le cinéma ?
Pour moi l’image fixe est plus importante que l’image qui bouge. Le cinéma muet était plus éloquent que le cinéma parlant…
Votre ressenti quand vous utilisez le miroir magique ?
Devant le miroir magique les gens ne trichent pas et je peux discerner, même chez un enfant, leur intériorité. Lorsque la personne m’envoie sa sincérité, j’ai la vérité sans masque. Cette authenticité m’émeut et me renvoie à moi-même.
Des problèmes de vue vous empêchent de poursuivre votre art ?
Certes je ne peux plus photographier mais on me demande de plus en plus d’expositions. Je vais bientôt montrer des inédits. Il y a encore des trésors à découvrir dans mes recherches personnelles… Je me rends compte des longueurs d’avance que j’avais…Actuellement j’ai terminé les images d’un tarot. Il faut que je peaufine le texte car mon objectif est d’écrire un livre de sagesse. Ce que j’écris touche à la science, c’est pourquoi je dois être clair et cela prend du temps. Il faut en outre préparer les gens au phénomène du tarot. Le tout doit avoir une résonance alchimique. Ce tarot-cartes et ce tarot-texte sont l’expression de ma maturité.
Peut-on être heureux dans un monde qui cumule les malheurs ?
Impossible d’être heureux vu l’état du monde, car on incite le gens à réfléchir de moins en moins… Je n’ai ni portable ni ordinateur, je suis resté à l’image fixe. Le numérique n’a pas d’épaisseur. Il assujettit le public. Depuis le temps on en est toujours au même stade avec des problèmes non résolus. Je constate que moins les gens pensent plus on les rend docile et plus il est donc facile de les diriger. Résultat : un nivellement par le bas… La Corse d’avant était préservée, ce n’est plus le cas… Où est notre île de beauté ?
Michèle Acquaviva-Pache
Crédit photos : Centre méditerranéen de la photographie