Un remaniement pour quoi faire ?
Gilles Simeoni a enfin annoncé le remaniement du Conseil exécutif.Trois partants, trois entrants.
Un remaniement pour quoi faire ?
Gilles Simeoni a enfin annoncé le remaniement du Conseil exécutif. Trois partants, trois entrants. Et après ?
L’annonce était attendue depuis la fin de l’été, précisément depuis les 29 et 30 août, journées durant lesquelles à Quenza, dans un presque grand secret, Gilles Simeoni et les principaux élus et responsables du parti Femu a Corsica s’étaient réunis lors d’un séminaire destiné à préparer la rentrée politique. Rien d’officiel concernant le contenu des discussions ou les décisions prises n’avait filtré du fait que consigne avait été donnée de ne rien dévoiler. Cependant il avait fini par se savoir qu’avaient été abordés comment relancer le processus de Beauvau en panne, quel aggiornamento du nationalisme, l’analyse de la défaite du député sortant Jean-Félix Acquaviva et de la percée du Rassemblement national lors des élections législatives, l’élaboration de priorités stratégiques et d’éléments de langage susceptibles de dynamiser les trois dernières années de la troisième mandature nationaliste. Il avait aussi fuité qu’avait été évoqué un possible remaniement du Conseil exécutif. Il aura fallu exactement cinq mois pour que ce remaniement soit décidé et officialisé.
C’est en effet le 30 janvier dernier que Gilles Simeoni a annoncé le retrait de trois conseillers exécutifs (Flora Mattei, présidente de l’Office des transports, Antonia Luciani, en charge notamment de la culture, Alex Vinciguerra, président de l’agence de développement économique) et leur remplacement par Vannina Chiarelli-Luzi, Anne Laure-Santucci et Jean-Félix Acquaviva. Le nouveau Conseil exécutif sera élu lors d‘une session de l’Assemblée de Corse devant avoir lieu entre les 10 et 15 février prochains. Les délégations des conseillers exécutifs entrants seront ensuite fixées et peut-être que des modifications seront apportées à celles des conseillers restés en place. Les trois partants devraient pour leur part soit siéger à nouveau en tant que conseillers territoriaux, soit renoncer à le faire. Antonia Luciani et Alex Vinciguerra ont fait savoir qu'ils rejoindraient l’hémicycle, Flora Mattei a confié qu'elle ne le ferait pas.
Gilles Simeoni a souhaité banaliser la porté politique du remaniement en précisant qu’il était purement technique (afin sans doute de prévenir toute interprétation y voyant la reconnaissance d’un constat d’échec…) et ?relevait simplement d’un besoin de réussir (pas très élégant envers les trois partants...) : « Il y a deux raisons à ce renouvellement, d'abord la conjoncture qui le rend indispensable dans le cadre de la révision constitutionnelle. Mais aussi le fait de répondre aux attentes des Corses qui ont parfois connu des réponses insuffisantes ». Au nom du groupe des conseillers siméonistes siégeant à l’Assemblée de Corse (groupe Fà populu inseme), Romain Colonna a affirmé le soutien de ces derniers à la décision de Gilles Simeoni de procéder à un remaniement, ainsi qu’au choix des trois entrants et au motif invoqué (pas vraiment surprenant...) : « Nous parlons d'un redéploiement stratégique, de notre fonctionnement, de notre administration, de notre travail parlementaire, ce qui a été moins bien fait doit être amélioré ».
Une offre plus que fraîchement accueillie
C’est évident : le remaniement ne se traduit pas par une ouverture mais plutôt par un resserrement des rangs. En effet, outre que les trois entrants appartiennent à la majorité siméoniste (groupe Fà populu inseme), deux d’entre eux (Anne-Laure Santucci, Jean-Félix Acquaviva) appartiennent au tout premier cercle du siméonisme. Sans doute conscient de la chose, Gilles Simeoni a indiqué vouloir tendre la main à l’opposition, notamment en l’invitant à participer à la conduite de trois chantiers pouvant - du moins selon lui ! - donner lieu à du consensus : la langue corse, la révision du PADDUC, le choix des grandes infrastructures. Le moins que l’on puisse dire est que cette offre a été plus que fraîchement accueillie à l’Assemblée de Corse dans les rangs de l’opposition. A droite, Jean-Martin Mondoloni a fait part de son scepticisme : « On aurait envie d’y croire, la Corse a envie d’y croire, mais on n’y croit plus » et indiqué que le groupe Un soffiu novu exigeait beaucoup plus qu’une main tendue : « Ce n’est pas du gouvernement qu’on attend un changement, mais de la gouvernance […]
Ce qu’on attend, c’est que vous soyez en capacité de dire voilà les objectifs que nous fixons, voilà les moyens que nous mettons à disposition de ces objectifs et quelles sont les moyens d’évaluation des politiques que vous mettrez en œuvre ». Les groupes de l’opposition nationaliste ont été bien plus virulents que la droite. Pour le groupe Core in Fronte, Paul Félix Benedetti a affirmé que le remaniement valait aveu d'échec : « Honnêtement, à votre place, je n’aurais pas fait de remaniement parce que, que vous le vouliez ou non, ce petit remaniement est perçu comme un aveu d’échec par la majorité d’entre nous», a rappelé qu’une belle occasion de « respiration démocratique » et de « nouvelle dynamique » avait été gâché : « Logiquement, lorsqu’après le vote du 5 juillet 2023 (portant sur le contenu de l’évolution institutionnelle, NDLR), il y a eu un regroupement d’une majorité politique assez large, je pense que c’est à ce moment qu’il y aurait dû avoir une ouverture globale et stratégique » et que, désormais, il appartenait à la majorité siméoniste d’assumer seule : « Aujourd’hui, il ne nous appartient pas de faire des propositions stratégiques. Cela appartient au parti majoritaire qui pendant ces trois années a gouverné seul et, je considère pour ma part, de manière outrancière ».
La conseillère territoriale Nazione n’a pas été plus tendre. Josepha Giacometti-Piredda a fait « le constat d’échec d’une stratégie, d’une méthode et d’une dynamique » et dénoncé « des non-choix stratégiques qui trouvent aujourd’hui leur apogée » pour ce qui concerne la gestion de la Collectivité de Corse. Pour le groupe PNC-Avanzemu, Jean-Christophe Angelini a usé de l’artillerie lourde : « Ce que vit notre peuple au plan économique est catastrophique, est dramatique au plan social, est très préoccupant au plan général […] Sur ces discussions que vous voulez ouvrir avec les groupes d’opposition, je vais le dire clairement : Ùn ci cunteti micca ! Quand on sera en commission, dans l’hémicycle, dans des débats, on va travailler dans l’intérêt de la Corse. On n’a jamais varié et on continuera de le faire pour les deux ou trois ans qui viennent. Il n’y a pas de difficulté et cela ne vaut pas déclaration de guerre totale et absolue. S’il est des sujets dont vous souhaitez que nous parlions, on peut en parler, mais je veux les déconnecter de manière radicale et pacifique de tout sujet de pouvoir ou de gouvernance. On n'ira pas à la gamelle […] On part d’un raisonnement qui est très simple : les gens ont voté pour vous, menez votre politique. Dans trois ans on va revoter, les gens choisiront une politique.
Il ne suffira pas
Pas d’ouverture, échec de la main tendue, alors un remaniement pour quoi faire ? Pour recadrer et recaser, peut-être. Pour essayer de rebondir en relançant la mandature ? Certainement. Pour ce faire, comme nous l’écrivions en août dernier, il va falloir que Gilles Simeoni et sa majorité évoluent. Ils vont devoir écouter, trancher, prioriser. C’est à dire changer la gouvernance de la Collectivité de Corse, en étant attentifs aux demandes et au quotidien du peuple et en incitant à moins d’arrogance et de suffisance certains responsables ou élus de Femu a Corsica. C’est à dire accélérer la cadence des réalisations, en remédiant à la procrastination affectant la résolution des problèmes et la bonne exécution des grands chantiers (envolée des dépenses de fonctionnement et de l’endettement de la Collectivité de Corse, traitement des déchets, dégradation du réseau routier du rural, difficulté pour les corses de se loger, politique de l'eau devant tenir compte de la surconsommation estivale et du dérèglement climatique, prix trop élevés des billets des transports maritime et aérien, prix insupportables des carburants, constitution de monopoles qui mettent en coupe réglée l’économie et les consommateurs, intrusion du banditisme dans les affaires publiques, tourisme de masse, vague de nouveaux arrivants…) C’est à dire définir un ordre des priorités, en répondant aux aspirations premières de la population (pour la grande majorité des corses, l’aggiornamento du nationalisme et l’autonomie ne relèvent pas de l’urgence absolue).
Pour le président du Conseil exécutif, rien n’est encore définitivement perdu. Mais il faudra qu’il dise très vite à quoi, concrètement, servira le remaniement. Il ne suffira pas qu’il serve à mener à bien les célébrations du tricentenaire de la naissance de Pasquale Paoli et du cinquantenaire des événements d’Aleria, et à demander haut et fort au Parlement français de se prononcer sur la révision constitutionnelle et le statut d’autonomie de la Corse.
Pierre Corsi
crédit photos : Collectivité de corse