Aurania, un conquistador à l'assaut de la Corse
On ne saurait trop se féliciter de ce que l 'association U Levantu ait le 31 octobre 2024 dévoilé les projets de la société Aurania.........
Aurania, un conquistador à l’assaut de la Corse
On ne saurait trop se féliciter de ce que l’association u Levante ait le 31 octobre 2024 dévoilé les projets de la société Aurania de prélèvement de minerai contenu dans le sable des plages de Nonza et d’Albu dans le Cap corse venant à l’appui de la Collectivité qui avait déjà alerté les pouvoirs publics. L’Office de l’Environnement avait en effet précédemment alerté l’État et la Direction de la Mer et du Littoral de Corse « bien avant le 30 et le 31 octobre, dates où les lanceurs d’alerte ont révélé publiquement l’existence de ce projet. »Le 11 janvier dernier Nazione menait une action pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur une extraction menée sans précaution et les risques de voir la Corse privée des bénéfices de l’opération. Cor'in fronte a décidé à juste titre d’interpeller l’Assemblée territoriale. Enquête sur cette société basée aux Bermudes c’est-à-dire dans un paradis fiscal et dont le dirigeant britanno-canadien Keith Barron a bien l’intention de devenir le conquistador des temps modernes.
Aurania à la recherche des cités perdues
L’alerte lancée par U Levante ne dévoilait pas un secret mais plutôt une cachotterie. Et il était bon pour la Corse que cela se sache. Le 3 octobre 2024, Aurania Resources Ltd. par voie de presse la découverte d’un site proprement extraordinaire de nickel dans le Cap corse Keith Barron multipliait alors les interviews pour dire son enthousiasme. Jean-Paul Pallier, géologue, vice-président de l’exploration d’Aurania, et Stefan Ansermet, consultant géologique d’Aurania, réalisaient alors un premier échantillonnage du fond marin au large des plages de Nonza et d’Albo, au moyen d’un aimant de terre rare à haute intensitén descendu sur le fond marin, des sables noirs très abondants ont été prélevés jusqu’à 600 mètres au large de la plage de Nonza et jusqu’à 300 mètres au large de la plage d’Albu. Toutes les autorisations administratives nécessaires avaient été obtenues. Au total, quatre échantillons ont ainsi été prélevés au large de la plage d’Albo et six devant la plage de Nonza. Les échantillons du sable prélevé ont ensuite été envoyés à ALS Chemex à Séville, en Espagne, pour analyse. Le 11 novembre les résultats établissaient que le minéral nickélifère du sable noir magnétique était l’awaruite. Des études préliminaires indiquaient que la plage était composée de 40 % de sable, dont 31,7 % sont magnétiques, et qu’un concentré magnétique du sable (contenant de l’awaruite et de la magnétite) a donné 40,1 % de nickel. De nouvelles analyses d’un concentré de flottation d’awaruite ont donné 71,4 % de nickel, 0,98 % de cobalt, 0,65 % de cuivre, 0,58 g/t d’or, 0,09 g/t de platine et 0,39 g/t de palladium. C’est tout simplement exceptionnel.
Un explorateur avec un esprit colonial
Keith Barron explique dans une interview, accordée en langue anglaise sur le site Resource Talks, qu’il avait repéré les deux plages à partir de photos aériennes et qu’il avait alors créé deux sous-sociétés, l’une en Bretagne appelée Breizh Ressources et l’autre en Corse, Corsica Ressources. Keith Barron n’est pas un néophyte. Il est connu pour avoir découvert l’une des plus grandes mines d’or au monde située dans les Andes, sur la Cordillère du Condor. Le site de la Fruta Del Norte, a comme potentiel 10 millions d’onces d’or, une once valant 31,10 grammes. Cela se passait en 2006. Deux ans plus tard, Keith Barron et ses deux acolytes vendent la mine à la multinationale Kinross pour 1,2 milliard de dollars canadiens soit près de 700 millions d’euros ce qui explique l’immatriculation de l’entreprise aux Bahamas qui sont considérées comme un paradis fiscal qui autorise la non-audition des sociétés. La société Aurania qui appartient à 43 % à Keith Barron (le reste allant à des banques canadiennes) a créé une légende quant aux talents presque chamanique du personnage qui met en avant la piste de l’or en Équateur. Nommé Lost Cities Cutucu le projet est composé de 42 permis d’exploitation qui couvrent plus de 2 000 km². Aurania Ressources est ce qu’on désigne dans le jargon du métier une junior, c’est-à-dire une société chercheuse de richesses sur plusieurs sites. Afin de se créer une image de chercheur de trésor, Keith Barron s’est mis en scène dans la jungle, couvre-chef à la Indiana Jones sur la tête, Keith Barron à la bibliothèque vaticane compulsant des comptes rendus d’expédition de conquistadores. Dans la réalité, les recherches sont menées de façon autrement plus technique et prosaïque. Mais l’image de marque est essentielle pour attirer des fonds investisseurs.
42 communes bretonnes visées par Breizh Aurania
Keith Barron s’est attaqué à la France après avoir appris en juin 2022 que le Muséum national d’histoire naturelle de Paris exposait la plus grosse pépite d’or jamais trouvée en 1875 en France, à Hennebont précisément 3,3 kg d’un mélange contenant 1,1 kg d’or qui provenait d’une carrière de quartz. Barron a alors constitué Breizh Aurania et déposé trois permis d’exploration avec à la clef des études sur les éventuels dégâts environnementaux effectués par le bureau d’ingénierie ENCEM Sud-Est, basé Vénissieux, près de Lyon. Comme en Corse, c’est par hasard, en lisant le Journal Officiel du 10 janvier 2024, que Dominique Williams, spécialiste des mines à l’association Eau et rivières de Bretagne, une société nommée Breizh Ressources a déposé, quelques mois auparavant, un permis exclusif de recherche minière (PERM) baptisé « Epona » dans quatre communes de sa région. À l’instar d’u Levante, son association tire la sonnette d’alarme et exige des explications de la sous-préfecture. En tout quarante-deux communes de Bretagne et des Pays de la Loire concernées par les demandes de permis de recherches minières de la société Breizh Ressources. Par la suite, Breizh Ressources a fourni un effort de communication dans un « esprit de transparence » et a indiqué les réunions avec les élus, les rencontres avec les associations.
Et en Corse
U Levante a cependant tort de mettre l’accent sur les risques de pollution à la fibre d’amiante. Il n’y en aura pas. Barron, comme indiqué par le communiqué de Cor'in fronte, a chiffré
les dépenses d’investissement à 13 millions d’euros et les gains minimaux à 10 millions d’Euro par an pour une durée de 10 ans. C’est tout au moins ce qu’il raconte. Cor'in fronte a mis l’accent sur la perte de la société Aurania évaluée pour 2024 à 7,9 millions de Dollars canadiens, soit plus de 5 millions d’Euros, résultat meilleur que l’année précédente. En fait, Aurania vise à faire miroiter d’énormes bénéfices à d’éventuels acheteurs du nickel corse. En Bretagne, Aurania s’apprête à baisser les bras devant la mobilisation suscitée par l’association Eau et Rivière. L’une de ses responsables explique sur le site Splann : « Nous avons initié une campagne de refus d’accès aux propriétés. Les propriétaires de terrains où Breizh Ressources doit mener ses recherches, peuvent signer un formulaire en ligne où ils déclarent qu’ils en interdisent l’accès. Cela complique les démarches de prospection ». Les acteurs locaux sont persuadés que Breizh Aurania ne cherche que l’or dont le cours ne cesse de grimper. L’association France Nature environnement de Loire-Atlantique traîne des pieds estimant qu’il y a d’autres urgences et les élus peinent à se mobiliser pour cause de division. Quant à l’État, il est pour l’instant abonné aux absents.
Le pillage de la Corse
Pour ce qui concerne la Corse, il ne fait aucun doute que l’affaire paraît juteuse. A priori c’est l’État qui est propriétaire du sable récolté au large comme il l’est des sous-sols. Cor'in fronte insiste sur le risque de prédation au détriment de la Corse et des Corses. « M. le Président du Conseil exécutif, M. le Président de l’Office de l’environnement, même si l’Assemblée de Corse a adopté une motion à l’unanimité, fin novembre 2024, pour exiger des garanties environnementales et sanitaires en cas d’exploitation, il n’en demeure pas moins que la mentalité de M. Barron elle celle d’un affairiste prédateur. Sa logique mercantile nous la refusons » concluant : « S’il s’avère que le projet de M. Barron est purement spéculatif comme cela semble être le cas, pour alimenter l’industrie du fer ou automobile, serez-vous à nos côtés, avec d’autres, pour dénoncer cette situation faite à la Corse ? » Pourtant, si le sol de Corse contient des richesses et que ces richesses peuvent être exploitées sans engendrer de pollution particulière ne serait-il pas moral que la Corse en profite ? Il est difficile de se plaindre d’une dépendance totale ou presque vis-à-vis du continent et alors que surgit une opportunité d’obtenir le fruit d’une richesse naturelle, de la repousser avec mépris du bout de la semelle. Des réunions sont prévues avec le dirigeant de Corsica Aurania que l’exécutif dit aborder avec prudence.
Négocier directement avec l’État
Cette affaire de nickel est l’occasion ou jamais pour l’exécutif de discuter d’égal à égal avec les représentants de l’Etat et de faire valoir les droits de la Corse sur ses ressources qu’elles soient agricoles, touristiques ou minières. Jusque dans les années cinquante et plus encore au XVIIIe et XIXe siècle, la Corse possédait des mines qui ont été fermées parce que leur exploitation était trop coûteuse eut égard à la concurrence continentale. Mais là dans le cas de Nonza et de Brandu, Keith Barron n’a cessé de s’émerveiller de la rentabilité de la quantité de métal à ramasser avec un coût d’exploitation mineur. Peut-être est-ce là une occasion de réfléchir de la façon dont nous percevons notre futur : prendre ce qui est à nous ou nous laisser en être dépossédé pour ensuite tendre la main et la sébile vers Paris.
GXC
Photos : D.R