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Front International de Décolonisation : la France crie à l'ingérance

L'évènement a eu lieu dernièrement à Nouméa.
Front International de Décolonisation : la France crie à l’ingérence


L’événement a eu lieu dernièrement à Nouméa. Il a eu pour cadre le siège de l'Union Calédonienne, le principal parti indépendantiste kanak. Une quinzaine d’organisations indépendantistes des « dernières colonies françaises » - dont le parti indépendantiste corse Nazione - étaient parties prenantes. Quel événement ? La création du Front International de Décolonisation. Celle-ci n’est pas passée inaperçue.


La création du Front International de Décolonisation a donné lieu à l’adoption d’un manifeste dont voici les principaux éléments.
D’abord l’énoncé d’une raison et d’une volonté d’agir ensemble pour être entendu, respecté et acteur de l’avènement d’un nouveau monde : « L’objectif fondamental est d’unir nos forces afin de débarrasser définitivement nos pays et la planète de toute présence coloniale. L’heure est désormais venue de faire front afin de conduire nos nations à leur pleine souveraineté et participer ainsi à la construction d’un monde meilleur, respectueux de la dignité des femmes et des hommes. »
Ensuite, une évocation des enjeux locaux et globaux justifiant la fondation et l’action future du FID : « Créer aujourd’hui le Front international de Décolonisation se fonde sur l’urgence de la souveraineté de nos peuples, de plus en plus menacés, dans leurs fondements mêmes, en raison de la situation coloniale qui perdure dans nos pays. Cette urgence est accentuée par la montée des tensions internationales, les risques de guerres généralisées ainsi que par le changement climatique et ses enjeux vitaux pour l’humanité. »
Enfin, l’exposé d’une stratégie : « Nous entendons mettre à profit la proclamation par l’ONU des résolutions sur les « décennies internationales de l’élimination définitive du colonialisme (1999-2000, 2001-2010, 2011-2020, 2021-2030) pour accélérer les processus d’émancipation nationale dans nos pays respectifs » et de plusieurs modes d’action : « organiser une solidarité active entre nos organisations et nos peuples, tant dans les actions diplomatiques que dans le soutien aux luttes menées avec courage dans chacun de nos pays contre le colonialisme français […] alerter et informer l’opinion internationale sur le sort réservé à nos pays et contrecarrer les mensonges officiels dont le seul but est de désinformer pour justifier l’injustifiable et, trop souvent, préparer le terrain d’une répression brutale. Il a été confié au FLNKS (Front De Libération Nationale Kanak et Socialiste), la mission « d’animer au sein d’une Coordination Générale, le Front International de Décolonisation ».
L’évènement aurait pu passer relativement inaperçu s’il n’avait pas donné lieu à une réaction de Manuel Valls, le ministre des outre-mer, et à un énième épisode du pugilat diplomatique entre la France et l’Azerbaïdjan. Dans un entretien accordé au quotidien Ouest-France, le ministre a dénoncé la mise en œuvre par les dirigeants azerbaïdjanais d’opérations « d’ingérence et de déstabilisation » sur les territoires ultramarins français.
Cette réaction a été motivée par l'intervention en visioconférence, lors du congrès constitutif du Front International de Décolonisation, d’Abbas Abbassov, le directeur exécutif azerbaïdjanais du Baku Initiative Group (organisation non gouvernementale que la France considère être au service du gouvernement azerbaïdjanais). Abbas Abbassov a notamment déclaré : « Le choix de tenir la réunion en Kanaky revêt une profonde signification symbolique […] En 2024, le monde a été témoin des événements tragiques et injustes survenus en Nouvelle-Calédonie, où les autorités françaises ont violemment réprimé les manifestations pacifiques de la nation kanak. Cette répression brutale a entraîné la mort de 13 innocents et plus de 200 blessés. »


Manuel Valls monte au créneau


La réaction de Manuel Valls s’inscrit dans un contexte de défiance et de tension qui dure depuis des années entre Paris et Bakou qui a pour origine le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Bakou reproche à Paris de soutenir Erevan, Paris soupçonne qu’en rétorsion, Bakou s’immisce dans les dossiers ultramarins et corse et y soutient les mouvements indépendantistes. La réaction de Manuel Valls a sans doute été particulièrement motivée par le fait que dans la classe politique française, certains commencent à déplorer ouvertement ou exploiter politiquement la chicaya entre Paris et Bakou, ou à réclamer une riposte.
Chez les élus « loyalistes » de Nouvelle-Calédonie, prévaut l’idée que Bakou est un bailleur de fonds des indépendantistes du territoire. Sur le channel Cnews, Nicolas Metzdorf, député de la première circonscription de Nouvelle-Calédonie, a affirmé : « Il y a des délégations d'élus calédoniens qui se rendent à Bakou, qui finance d'ailleurs les déplacements. Ils y signent des mémorandums de coopération avec l'Azerbaïdjan pour la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie mais aussi de tous les outre-mer.
En fait, on voit que l'Azerbaïdjan apporte un soutien logistique, politique et financier pour tous les mouvements séparatistes dans les outre-mer français. »
L’eurodéputée Marion Maréchal a dénoncé : « Il n’est pas acceptable d’avoir laissé un État hostile organiser un congrès malveillant à Nouméa » a déploré se dessine même désormais une volonté de sanctionner Bakou. L’ancien premier ministre Gabriel Attal, qui dirige désormais le parti macroniste Renaissance, a déclaré que « les opérations d’ingérence de l’Azerbaïdjan, qui souffle sur les braises et insulte notre pays, méritent une condamnation unanime ».
L’eurodéputé européen Les Républicains François Xavier Bellamy a exigé une réaction énergique : « Un régime criminel attaque publiquement l’intégrité de la France. Quand l’État va-t-il enfin réagir ? » Enfin, il se dit qu’avec le soutien du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, il sera demandé que la France exige une résolution européenne prévoyant d’infliger des sanctions à l'Azerbaïdjan.


VIGINUM et la DGSI s’en mêlent


Par ailleurs, et c’est de nature à être préoccupant pour les organisations membres du Front International de Décolonisation, des organismes sécuritaires de haut niveau s’en mêlent. Dans un rapport publié le 2 décembre 2024, VIGINUM (Service de vigilance et protection conte les ingérences numériques étrangères, qui œuvre notamment pour le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) a mis en cause le BIG (Baku Initiative Group), le qualifiant « d’organisme de propagande d'État basé en Azerbaïdjan », l’accusant d’agir notamment numériquement pour « dégrader l’image et la réputation de la France auprès des populations des DROM-COM et de la Corse », signalant « une implication directe d’acteurs pro-azerbaïdjanais » et concluant : « il apparaît que le BIG peut être considéré comme une officine de propagande d’État contre la France, dont la stratégie consiste à instrumentaliser le débat public dans les Outre-Mer pour servir les objectifs de politique étrangère de l’Azerbaïdjan. » VIGINUM a toutefois ajouté que pour l’heure « l’activisme déployé par l’organisation azerbaïdjanaise pour gagner en visibilité » se manifestait « sans être récompensé ».
En outre, une enquête de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) serait en cours. L’entrée en lice de services sécuritaires de haut niveau est d’autant plus de nature à préoccuper les organisations membres du Front International de Décolonisation, qu’au vu des derniers propos d’Abbas Abbassov, les relations entre Paris et Bakou risquent d’encore se dégrader.
En effet, l’intéressé a qualifié « d’allégations infondées » les réactions françaises et notamment ajouté : « Les droits fondamentaux de l’homme ainsi que l’aspiration des gens à la libération ne peuvent être considérés comme l’interférence dans des affaires intérieures [...] Il n’y a pas de place au colonialisme dans le XXIème siècle […] Nous appelons les organisations internationales et la communauté internationale à soutenir le GIB dans ses activités. Devenir indépendant c’est le droit des colonies. »


JPB
Crédit photos : Baku initiative group



Pour en savoir plus …

- Les organisations membres du FID : Nazione (Corse) ; Pou Konstwi Nasyon Gwadloup, Comité international des peuples noir, Mouvement International pour les Réparations, Parti Communiste Guadeloupéen, Union Pour la Libération de la Guadeloupe (Guadeloupe) ; Mouvement de Décolonisation et D'Émancipation Sociale (Guyane) ; Front De Libération Nationale Kanak et Socialiste (Nouvelle Calédonie) ; Mouvement International pour les Réparations Martinique, Mouvement des Démocrates et Écologistes pour une Martinique Souveraine, Parti pour la Libération de la Martinique, Pati Kominis pou Lendepandans ek Sosyalizm (Martinique) ; Tāvini huiraʻatira nō te ao māʻohi (Polynésie) ; One Saint Martin (Saint Martin) ; Humain Right Watch.

- Quid le Baku Initiative Group et l’Azerbaïdjan ? Le Baku Initiative Group a été initié par les représentants de mouvements se déclarant anti-colonialistes des DOM et des TOM (Guyane, Martinique, Guadeloupe, Polynésie, Novelle Calédonie). Il a vu le jour, en juillet 2023, à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. Il est soutenu politiquement par ce pays. Il s’inscrit certes objectivement dans un contexte de riposte de l’Azerbaïdjan à la suite de la détérioration de ses relations avec la France (du fait du soutien apporté par Paris à l’Arménie, pays avec lequel l’Azerbaïdjan est en conflit armé depuis des décennies). Le Baku Initiative Group a cependant, au niveau de ses composantes, pour positionnement et champ d’action l’anti-colonialisme et non la valorisation à l’international du pouvoir azerbaïdjanais. Et ce qui suscite particulièrement l’irritation de Paris est que l’objectif du Baku Initiative Group est de porter, à l’échelle internationale, la lutte contre ce qu’il considère être la domination coloniale sur des territoires à ce jour français.
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