Ramona Russu, une jeune artiste roumaine
Une exposition en or et noir a voir au centre culturel des quartiers sud à l'Alb'Oru
Ramona Russu, peintre
Une exposition en or et noir
Le festival du film italien de Bastia invite une jeune artiste roumaine à exposer dans l’enceinte de l’Alb’Oru. Jeune, Ramona Russu certainement, mais déjà confirmée puisqu’elle vit de son art ce qui est peu fréquent à son âge. Originalité des pièces à découvrir au centre culturel des quartiers sud : elles hissent les couleurs de l’or et du noir !
Autre spécificité de l’exposition ? Elle présente les étapes successives qui mènent du commencement des œuvres à leur achèvement. On entre ainsi « dans les coulisses de la création », commente l’artiste. On parvient à « comprendre que la beauté naît souvent de l’inattendu, d’accidents, d’hésitations, tout comme un film » précise la plasticienne. Objectif de Ramana Russu démontrer qu’on peut faire un parallèle entre création cinématographiquetel le festival et la création plastique telle l’exposition. Celle-ci nous entraîne, en effet, au fil des pièces exposées à découvrir les esquisses, les études, les essais les ajustements précédant l’œuvre terminée. Au fur et à mesure de notre cheminement on approche alors d’une esthétique de la fragmentation des portraits réalisés. Particularité de l’artiste, elle explore unthème… les portraits de femmes uniquement !
D’où proviennent les fragments ? Ils résultent des coupures, des déchirure initiales que vont transformer, métamorphoser le noir du fusain et l’or ainsi que leurs réactions sur de la toile de lin ou du papier bambou. L’œil de Ramona Russu est excessivement attentif au jeu de la lumière et de l’ombre qui émane des fêlures, des lacérations égrenées sur le parcours proposé. Autant de tempos qu’elle ne cesse d’utiliser pour conduire pas à pas à l’œuvre terminée. Sur le chemin elle nous donne à voir des carnets de feuilles d’or qui iront illuminer ses toiles de façon éclatante ou subtilement atténuée selon la lumière.
Ce voyage au cœur du processus créatif débute, côté cafétéria, par des prémices nées d’erreurs, de tâtonnements mués en moments incertains qui vont peu à peu se préciser en adoptant séquence après séquence une résonance définitive. Côté entrée du théâtre, on est saisi par trois grandes œuvres reposant sur trois variations alliant force et délicatesse, raffinement et simplicité, élan créatif aboutissant en un lent et long mûrissement bouclé en accomplissement.
Le regard du visiteur peut laisser voguer son imagination sur le visage de la femme portraitisée. Est-elle âgée ou jeune ? Est-elle sereine ou stressée ? Est-elle souffrante ou débordant de vie ? Ce portrait de femme en ses traits et ses aplats d’or, qui varient à la lumière, ne contraignent pas à choisir car à chacun d’inventer sa solution personnelle… Et surtout ce portrait est là pour questionner. Et ça, c’est aussi de l’art.
Michèle Acquaviva- Pache
ENTRETIEN AVEC RAMONA RUSSU, peintre
Pourquoi avoir quitté la Roumanie ?
Je n’ai pas eu le sentiment de partir ! Après mes études secondaires au lycée de Brasov, ville où je suis née, j’ai voulu voyager, voir le monde. A ce moment-là je ne pensais pas faire de l’art mon métier, mais je sentais qu’il était évident que je devais continuer à peindre, qu’il fallait que je me perfectionne pour aller plus loin.
Où avez-vous suivi votre cursus universitaire ?
A l’Académie royal d’art de Bruxelles où je suis restée quatre ans. Ensuite j’ai gagné un concours. Une galerie d’art m’a remarqué et m’a embauché. C’est ainsi que j’ai débarqué à Paris pour diriger une galerie.
Mais pour quelle raison vous êtes-vous installé à Bastia ?
Par le plus grand des hasards. Je suis venue pour passer l’été. Arrivée par Bonifacio j’étais emballée. Puis je me suis installée à Bastia, ville au cadre authentique. En Corse je ne me suis jamais sentie dépaysée.
Quels sont les points communs entre Brasov et la Bastia ?
Brasov est en Transylvanie, renommée comme station de ski. Elle est un peu plus grande que Bastia… Seulement j’adore la chaleur, et vivre dans une île entourée d’eau c’est magnifique… A Bastia et à Brasov les gens ont les mêmes valeurs familiales, le même respect des autres, la même bienveillance et ils sont ouverts au monde.
Votre exposition révèle au spectateur le processus de création de vos œuvres. Votre atelier est-il ouvert au public ?
Non… Pas du tout. Quant je travaille il me faut ma solitude. Mon espace à moi. Pour créer je dois me sentir dans ma bulle. Lorsque je manie mes dorures qui réclament extrêmement de finesse, il faut que je sois concentrée. C’est indispensable…En fait, je dois me retrouver en moi-même.
Depuis quand vivez-vous de votre art ? Vous souvenez-vous de la première œuvre qu’on vous a acquise ?
Ma première œuvre vendue remonte au lycée. Elle a été achetée par un ami de mon père ! Il y a peu lors d’une soirée caritative pour « Inseme », association qui soutient les malades corses qui doivent recevoir des soins sur le continent, un particulier acheté une de mes créations à un très bon prix. La plupart du temps je vends par l’intermédiaire des galeries. Concrètement cela fait trois ans que je vis d mon art.
Dans vos tableaux privilégiez-vous toujours les portraits de femmes ?
Les portraits et les silhouettes… Les femmes, chez moi plasticienne, ne sont pas une cause que je défends, mais elles me sont proches et dans mon travail je ne peux parler que de ce que je ressens. C’est affaire de sensibilité personnelle ce qui me plait c’est l’équilibre force / fragilité qu’elles révèlent. Voilà un contraste qui m’est cher.
L’or et le noir sont les couleurs qui règnent dans votre exposition. Pourquoi ?
La feuille d’or et le noir du fusain constitue une dualité d’une grande importance. Le noir du fusain avec son côté brut. L’or avec son aspect solaire.
L’or est-il un écho aux icones du monde orthodoxe ?
Enfant, adolescente j’ai été entourée d’icones orthodoxes. J’ai été captivée par les dorures qui réagissent différemment selon la lumière. L’or, parce qu’il est rare et précieux connote aussi le divin.
Qu’est-ce que le kintsugi dont vous revendiquez ?
C’est une technique japonaise appliquée aux céramiques brisées. Elle consiste en l’utilisation de feuilles d’or pour reconstituer le pot abîmé. Morale de cette pratique : tout objet cassé ne doit pas être jeté. Il faut le réparer, accepter l’imperfection qui en résulte tout en le rendant singulier par rapport aux autres pots. J’ai adhéré, il y a deux ans, à ce qui est devenue une philosophie. Elle nous dit qu’il faut assumer son vécu et que l’imperfection exprime notre singularité.
Vous styliser beaucoup vos portraits est-ce une manière d’aller à l’essentiel ?
Moins il y a de détails plus un portrait est expressif. Si on veut aller à l’essentiel il faut enlever le superflu. Dans cette exposition à l’Alb’Oru mon propos est également de mettre en évidence le contraste ombre / lumière.
Vos projets à courts termes ?
Pour bientôt à Bastia je prépare une exposition centrée sur la dualité ombre / lumière. Puis j’irai exposer à Milan. En mai je serai à Paris pour travailler un projet consacré aux Etats-Unis. En octobre je vais participer à la Biennale de Florence où j’ai déjà remporté un prix il y a deux ans. Toutes ces expositions seront axées sur des créations nouvelles.
Quelle est la principale évolution de votre travail ?
La constante c’est la femme. Au début mes œuvres or et fusain étaient proches de l’illustration. Puis j’ai décanté mon travail pour l’approfondir, pour aller au-delà du descriptif.
M.A-P
Photos: Ramona Russu