Après Rebsamen : autonomie, la timide éclaircie
Depuis huit mois, rien n'avait évolué......
Après Rebsamen : autonomie, la timide éclaircie
Après huit mois d’incertitude dictée par les péripéties de la vie politique hexagonale (dissolution, élections législatives, gouvernement démissionnaire, gouvernement Barnier censuré), est survenue une éclaircie. Le processus devant conduire à une évolution institutionnelle et in fine à un statut d’autonomie pouvant être jugé acceptable par la quasi totalité des élus de la mouvance nationaliste siégeant à l’Assemblée de Corse et une partie de ceux de la droite, a été relancé par la visite de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse, portée par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, et celle de François Rebsamen, le ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation.
Depuis huit mois, rien n’avait évolué. Le processus devant conduire à une évolution institutionnelle et in fine à un statut d’autonomie pouvant être jugé acceptable par la quasi totalité des élus de la mouvance nationaliste siégeant à l’Assemblée de Corse et une partie de ceux de la droite, semblait condamné ou du moins destiné à être renvoyé aux Calendes grecques.
Ces derniers jours est survenue une éclaircie. Elle a résulté des bilans ayant pu être tirés de deux visites : celle de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse, portée par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale ; celle de François Rebsamen, le ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, qui a en charge le traitement du dossier corse. Les membres de la mission de l’Assemblée nationale ont semblé manifester une approche plus ouverte que celle que révélerait la synthèse du rapport, ayant fuité il y a quelques semaines, de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse portée par la Commission des lois du Sénat.
En effet, il ressortirait de ce document qu’au lieu de l’octroi d’un véritable pouvoir normatif à la Collectivité de Corse, la plupart des membres de la commission sénatoriale préconiseraient, dans un nombre limité de domaines, un simple renforcement du pouvoir actuel d'adaptation des normes (pour adapter une norme de nature réglementaire, l’accord du gouvernement serait nécessaire ; pour adapter une norme de nature législative, il conviendrait d’obtenir l’aval de l’Assemblé nationale et du Sénat). D’où la perspective d’une autonomie au rabais !
Bonnes dispositions de l’État
Le ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation a, de son côté, affiché de bonnes dispositions de l’État. Dès ses premiers échanges avec Gilles Simeoni, le président de Conseil exécutif de Corse, et Marie-Antoinette Maupertuis, la présidente de l'Assemblée de Corse, François Rebsamen a assuré que le président de la République et le Premier ministre avaient la volonté qu’une suite concrète soit donnée au processus Beauvau. Durant sa visite, François Rebsamen a affirmé être le relai de cette volonté politique et appelé à une dynamique d’espoir et de rassemblement à partir d’une écriture constitutionnelle largement partagée.
A l’issue de sa visite, François Rebsamen a évoqué le calendrier suivant : au plus tard fin avril, réunion du Comité stratégique comprenant la vingtaine d’élus corses ayant participé au processus Beauvau afin de présenter l’écriture constitutionnelle que produira le gouvernement ; fin mai, saisine du Conseil d’État pour avis sur l’écriture constitutionnelle ; nouvelle réunion avec le Comité stratégique ; avant ou après l’été, projet de loi constitutionnelle soumis à l’Assemblée Nationale et au Sénat qui devront adopter un même texte ; si adoption d’un même texte, avant la fin de l’année, réunion à Versailles du Congrès du Parlement qui devra adopter ledit texte à la majorité des trois cinquièmes.
Le respect de ce calendrier et la concrétisation de ses différentes étapes permettraient une avancée décisive, pour peu qu’en route n’aient pas été dénaturés la délibération Autonomia ayant été adoptée le 5 juillet 2023 par l’Assemblée de Corse et l’accord entre Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, et la plupart des élus de la délégation corse, ayant, en mars 2024, clôturé le processus de Beauvau. En effet, serait ainsi validé le cadre constitutionnel qui permettrait l’élaboration et l’adoption d’une loi organique pouvant porter dévolution d’un pouvoir normatif et de nouvelles compétences à la Collectivité de Corse, et donc l’instauration d’un véritable statut d’autonomie.
Prudence et aussi honnêteté
Incontestable éclaircie donc car, il y a encore quelques semaines, l’horizon paraissait voué à être durablement voire éternellement bouché. D’autant plus que François Rebsamen a laissé entendre que l’écriture constitutionnelle proposée par le gouvernement retiendrait le premier alinéa issu de l’accord de Beauvau énonçant : « La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à la terre ».
Éclaircie certes incontestable, mais timide, voire fragile, car François Rebsamen n’a pu donner l’assurance que le vocable « communauté », censé évoquer le peuple corse et en reconnaître implicitement l’existence, franchirait les barres du Conseil d’État, de l’Assemblée nationale et du Sénat, et confié avoir eu connaissance que « communauté », cela faisait tousser certains juristes. Éclaircie certes incontestable, mais timide, voire fragile car François Rebsamen, tout en précisant que la porte n’était pas fermée ne s’est pas engagé concernant le pouvoir normatif, renvoyant cette question aux discussions sur la loi organique ; positionnement d’ailleurs à la fois prudent et honnête car, tout comme pour « communauté », tout dépendra du Conseil d’État, de l’Assemblée nationale et du Sénat. Éclaircie certes incontestable, mais timide, voire fragile car si franchir les obstacles Assemblée nationale (existence d’une majorité en faveur du projet de loi constitutionnelle) et Sénat (une partie des sénateurs de droite et centristes pourrait voter le projet de loi constitutionnelle avec les sénateurs de gauche) est possible, réunir au Congrès une majorité des trois cinquièmes est loin d’être acquis (du fait de l’opposition de nombreux sénateurs et des députés Rassemblement national).
Femu a Corsica a averti
Le prudence du ministre n’a d’ailleurs pas échappé à Femu a Corsica. En effet, dans un communiqué publié après le départ de François Rebsamene, le parti siméoniste, tout en affichant de la satisfaction, a exprimé de la prudence et de la vigilance. Il s’est felicité de « la volonté partagée de poursuivre et de réussir le processus, interrompu en juin 2024 à l’issue de la dissolution de l’Assemblée nationale et suspendu depuis lors, et d’aboutir à une révision constitutionnelle avant la fin de l’année 2025 ». Il a souligné sa volonté que soient respectés le vote de l’Assemblée de Corse et la parole donnée par l’État en affirmant : « le caractère consensuel et conclusif du projet d’écritures constitutionnelles (qui) ne saurait être détricotés ou dénaturés » ; en rappelant que ledit projet résulte « d’un double compromis historique » qui comprend « d’une part, un accord des forces politiques corses entre elles, qu’elles soient signataires de la délibération « Autunumia » du 5 juillet 2023 ou pas ; d’autre part, un accord signé entre la Corse et l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au nom du gouvernement français et mandaté par le Président de la République »
; en avertissant : « il n’est pas envisageable de trouver un compromis sur le compromis. Le processus doit traduire, dans le droit constitutionnel puis la loi organique, l’accord politique entre la Corse et Paris et consacrer nos droits collectifs, à travers notamment la mise en place d’un statut d’autonomie, articulé autour de l’octroi d’un pouvoir législatif de plein droit et de plein exercice pour la Corse ».
Vigilance des opposants
Les opposants à la majorité territoriale siméoniste qui siègent à l’Assemblée de Corse, ont eux aussi, après que le ministre ait rencontré leurs représentants, fait part d’une satisfaction tempérée par de la prudence et de la vigilance. Le groupe de droite Un Soffiu Novu a salué l’écoute du ministre (Valérie Bozzi et Jean-Martin Mondoloni qui représentaient le groupe, ont pu présenter leurs visions différentes concernant le pouvoir normatif), tout en insistant sur la nécessité d’une consultation populaire. Jean-Christophe Angelini, président du groupe Avanzemu-Partitu di a Nazione Corsa, a dit être satisfait de la teneur de la rencontre, tout en soulignant les priorités de son groupe : réel statut d’autonomie (dévolution d’un véritable pouvoir normatif, législatif et réglementaire), moyens juridiques et financiers d’un développement économique, social, durable, linguistique et culturel). Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte, a déclaré être ni satisfait, ni insatisfait et a conclu que tout ou presque reste à faire. Conclusion d’ailleurs partagée par votre serviteur.
Pierre Corsi
Crédit photos : portrait Rebsamen (Wikipedia Commons, by Bruno Caramel) / autres (Collectivité de Corse)