Isabelle Rachel Casta / Polar et Surnaturel
La librairie Alma de Bastia, un samedi après-midi, hantée par ces figures ineffables que sont les fantômes.
Isabelle Rachel Casta
Polar et Surnaturel
La librairie Alma de Bastia, un samedi après-midi, hantée par ces figures ineffables que sont les fantômes. Isabelle Rachel Casta, universitaire, spécialiste de littérature noire, criminelle, fantastique, prend des accents de conteuse pour présenter non seulement des fantômes mais encore des spectres, des revenants, des vampires de nos séries télévisuelles et de certains films.
L’universitaire souligne que le fantôme d’aujourd’hui a bien changé. Il ne ressemble plus à celui de l’univers gothique qui surgissait avec son lot de chaînes bruyantes, emballé de draps blanc, poussant d’effroyables cris. Le fantôme contemporain se profile à l’identique de ceux qui sont toujours en vie. Plus même, il est capable de prendre part à l’enquête criminelle s’il a été assassiné comme le montre l’analyse de Benjamin Campion au sujet de la série tv, « Beau Séjour », créée par Nathalie Basteyns et Kaat Beels, tournée en Flandres belges.
Le quatrième volume, « L’enquête des morts » tiré de de la série, « Polar et surnaturel », publié sous la direction d’Isabelle Rachel Casta nous entraîne dans un monde où désormais se mêlent vivants et morts dans « ce mixte inattendu entre rigueur policière cartésienne et étrangeté paranormale, » précise l’universitaire. Différence avec les récits d’hier mettant en scène des figures de l’au-delà, celles peintes par le « polar fantôme » sont souvent affectueuses ou nostalgiques traduisant un changement de codes dans leur traitement cinématographique et télévisuel. Ces codes sont ainsi renouvelés. Les fantômes de notre présent peuvent à l’occasion jouer un rôle dans la sphère de la science-fiction plutôt dystopique concomitamment à celle de l’enquête de police. Généralement ils ont le pouvoir d’être si proches des vivants qu’il faut bien accommoder son regard pour les distinguer. En outre, ils ont la capacité d’être visibles à telle ou telle personne et non à d’autres
« Polar et surnaturel » accole deux mots qui, à l’œil, sont antagonistes mais les contributions des experts participant au volume éclairent avec force leur originalité puisque le surnaturel ici ne s’attache plus au divin plus ou moins religieux mais à ce halo plus ou moins défini qui peut relier les morts aux vivants comme si le terminus de la vie, le passage de l’autre côté entérinaient le refus de ne plus être. Refus que devra solder le fantôme et ses avatars pour parvenir à disparaître.
Le livre devient de la sorte un voyage en compagnie des revenants, des zombies, des spectres qui sont capables de s’inscrire dans cet ailleurs où se situe la vérité…
Michèle Acquaviva-Pache
NB : « Polar et surnaturel » est publié par « La Revue des lettres modernes ». C’est le quatrième volume des « Séries policières ».
• Le volume n° 1 se nomme « En quête du réel »• Le volume n°2 a pour titre « Amour fou et crimes en séries » • Le volume n°3 s’intitule « A l’est de l’étoile polar »
ENTRETIEN AVEC ISABELLE RACHEL CASTA
Pourquoi et comment avez-vous eu l’idée d’associer polar et surnaturel ?
Très simplement parce qu’avec le film, « Le sixième sens », naît une nouvelle grammaire cinématographique qui bouleverse la monstration du fantôme. Il devient alors un élément dynamique du polar et entre de plein pied dans le 7 è art et les séries tv en jouant les vivants. Il ne se pare plus d’interventions spécifiques : effets spéciaux, accessoires… C’est par le biais de la caméra que le spectateur est invité à déduire qu’il est face à un fantôme incarné par un comédien ainsi que les autres personnages. On le voit aussi prendre de plus en plus part à l’enquête. Il est le résultat d’une construction particulière qui l’emporte sur le naturalisme d’avant !
Comment s’est fait la répartition des contributions entre les collaborateurs de « La revue des lettres modernes » ?
Démocratiquement. J’ai lancé un appel à projet sur le site de « Fabula » où les universitaires viennent s’informer de sujets qui les intéressent et auxquels ils pensent soumettre des textes originaux. Une fois toutes les propositions recueillies j’ai fait le tri et retienu les meilleures.
Ces collaborateurs se connaissent-ils ?
Certains se lisent entre eux, d’autres se croient à l’occasion parce qu’ils interviennent sur des thèmes identiques. J’ai tenu à avoir des contributions sur des films et des séries tv révolutionnaires telle « Twin Peaks » de David Lynch qui a suscité un enthousiasme fou dans maints pays et « Aux frontières du réel » qui a également eu un profond impact auprès des téléspectateurs. L’analyse publiée dans le livre est de Stéphane Ledien, qui met en exergue combien cette série télévisée a réussi à renouveler les codes du polar tv en lui ajoutant ladimension du surnaturel. Parmi les films qui ont marqué les imaginaires on pourrait citer aussi « Les autres » d’Amenàbar. Mais le chef-d’œuvre incontestable du genre est «Le sixième sens »de M. Night Shyamalan en 1999, qui va à sa suite inspirer de nombreux cinéastes.
Qu’entendez-vous exactement par surnaturel ? Ne pouviez-vous pas employer les termes de fantastique, de paranormal… ?
Surnaturel… J’y tiens… Beaucoup disent au-delà… Moi, je joue sur le mot pour signifier au-delà du naturel. D’ailleurs le surnaturel est un conservatoire de fantômes ! Cette notion est valable pour tous les cinémas de par le monde car le 7 è art conserve les morts. Devant un film ancien, de fantômes ou non, ne sommes pas tous face à une armée de spectres qui en leur temps ont joué devant la caméra ? Dans ce cas le cinéma incluant le surnaturel n’est qu’un ajout technique à la nature… Je veux aussi souligner que dans la lignée du « Sixième sens »s’inscrit « Presence » de Steven Soderbergh sorti en 2024.
De quand date l’apparition du surnaturel dans le polar ?
Le surnaturel est consubstantiel au polar qui est fantastique par nature. Mais la naissance du polar en littérature est dû à Edgar Poe et date des années 1840, bien qu’on trouve sa trace dans les textes d’Homère et dans la bible. Le surnaturel habite également romans et contes fantastiques et gothiques qui sont plus anciens que les œuvres de Poe. La mort, la survie, larésurrection sont des éléments courants dans la fiction. Maintenant le fantôme n’appartient plus au bric-à-brac de l’univers du gothique et des croyances au diable. Le fantôme c’est vous, c’est moi. Caractéristique de celui-ci : il est tellement attaché aux vivants qu’il n’arrive pas à s’en aller. Il le peut uniquement que lorsqu’il a accepté sa disparition après avoir dit ce qu’il a sur le cœur et soldé ses comptes.
Différence absolue entre fantôme et spectre ?
Les deux sont des esprits immatériels. Ils ne présentent pas de différence, entre autres, dans le surgissement. Les zombies, les revenants, eux, sont des esprits matériels.
Les interventions de fantômes dans séries tv et films permettent-ils de multiplier lesconclusions d’ énigmes ?
Pas du tout. Il n’existe pas de résolutions automatiques d’énigmes ni plurielles sinon on n’est plus dans le polar. Le fantôme actuel n’en sait pas plus que les vivants. On peur le voir enquêter sur une affaire… Question difficile posée aux cinéastes : comment faire mouvoir le fantôme ? …La réponse est ardue.
Pourquoi les jeunes apprécient-ils autant les vampires ?
Le vampire n’est pas un fantôme puisqu’on ne peut le devenir qu’après avoir été mordu par un vampire. Celui-ci a forme humaine. Il est beau, sexy, se promène parmi les vivants. L’histoire de Dracula célèbre l’amour fou, la fidélité éternelle, la résurrection. Son histoire se rapproche de celles de « Tristan et Yseult » et de « Roméo et Juliette ».
Le polar, qui inclut le surnaturel, invente-t-il des rapports nouveaux entre vivants et morts ?
La littérature n’invente rien : tout est là… La littérature ne fait que réarticuler de grands mythes. Le polar s’empare de tous les éléments de la société. Mais dans un monde où l’on ne croit plus guère, le polar apporte un peu de transcendance dans notre monde laïcisé. Pour certaines personnes en permettant de conclure des crimes le polar aide à restaurer l’ordre social. Il est réconfort. Cependant dans un polar d’un Dashiell Hammett ou d’un James Ellroy, par exemple, il y a dénonciation d’une société qui ne produit que corruption et assassinats et où le mal se régénère constamment. Donc peu de consolation à attendre !
Les revenants questionneraient-ils une zone floue entre morts et vivants ?
Le revenant n’existe que dans l’imaginaire. Il est refus de la mort définitive. Pour lui le monde continue sa marche. Il lui semble impensable qu’il puisse le faire sans lui… Qui n’aime pas imaginer que les morts ne puissent revenir vers nous ? Car les revoir serait bienfaisants.
MAP
• Les photos sont DR, d’Olivier Rivollier, des distributeurs de cinéma et tv, de MAP.