Un silence qui en dit long
Des confessions du désormais repenti Marco Raduano
Un silence qui en dit long
Très récemment, Marie-Françoise Stefani, journaliste à Via Stella a publié dans un article les confessions du désormais repenti Marco Raduano, cet authentique mafieux des Pouilles qui a exécuté Paul Paoli, un nationaliste reversé dans l’immobilier à grande échelle. Il aurait agi à la demande d’autres nationalistes. Nous avons là une affaire où se mêlent un mafieux avéré, tueur dangereux, des nationalistes et l’affairisme immobilier, un véritable cas d’école. Aucun politique corse n’a pourtant mis en exergue cette complicité entre des personnes se réclamant du nationalisme et un mafieux notoire abrité par un autre nationaliste. Enfin, on ne peut qu’être abasourdi par le silence des deux Collectifs qui tiennent pourtant là la sinistre illustration de leurs propos. Serait-ce que le nationalisme de ces personnes gênerait et la majorité et les Collectifs ?
La criminalité corse ? Un débat vieux comme… la Corse
La criminalité corse est un sujet battu et rebattu par les diverses puissantes occupantes de l’île, mais également par les Corses eux-mêmes. Les archives génoises débordent des décisions d’interdiction des armes, de peines aggravées pour crimes de sang et même d’une sorte de statut de repenti pour le bandit qui ramenait la tête d’un autre bandit. Pascal Paoli a consacré une partie de son énergie à tenter de mettre un frein à l’effusion de sang provoqué par les vendettas ou les crimes de voisinages. Il a même créé sa justice, a Ghjustizia paolina, dont les châtiments étaient parfois plus durs que ceux des Génois. Il estimait que dans un pareil contexte de violence aucun état moderne ne pouvait espérer croître et embellir. Tout au long du XIXe siècle, les rapports sur la violence en Corse s’accumulent dans les armoires du ministère de l’Intérieur et celui de la Justice. Le plus célèbre est celui du procureur Mottet en 1836.
Après la chute du Second Empire, le débat fait rage à l’Assemblée, des élus comme Clémenceau confondant sa haine de l’Empire et les Corses. Il fait un constat accablant de la violence en Corse et propose de vendre la Corse pour un franc symbolique. À plusieurs reprises, le port d’armes sera interdit ou limité. Sans grand effet sur les chiffres de la criminalité de sang qui restent accablants pour la Corse. On ne parle pas alors de mafia, mais de banditisme. Mais ce sont toujours des bandes familiales ou d’aventure qui s’affrontent.
Mais le mélange des genres est total : les candidats à la députation se font aider par les bandits. Le député Arène accompagnera même le président de la République Briand pour rencontrer le bandit Bellacoscia plusieurs fois condamné à mort. Le bandit Nonce Romanetti donnera un coup de main à des candidats de l’extrême droite à Ajaccio et cinq mille personnes l’accompagneront au cimetière, notables en tête.
L’entre-deux-guerres voit une recrudescence d’un banditisme insulaire qui rackette, qui tue et qui se vend aux politiques. La campagne de débanditisation de 1931, exercée par des militaires accompagnés de blindés, met fin à un phénomène finissant, suscitant néanmoins de vifs débats à l’Assemblée nationale notamment avec le groupe communiste.
L’assassinat du préfet Erignac en 1998 provoque à son tour une commission d’enquête et des rapports du Parlement et du Sénat.
En décembre 2010, à la suite de nouveaux assassinats, l’assemblée de Corse alors sous présidence de Dominique Bucchini consacre une séance particulière à la violence. L’année suivante, une commission ad hoc est créée. Les élus doivent aller dans les écoles pour sensibiliser les élèves. En 2012, premier rapport sur les assassinats, la drogue, le racket et la spéculation immobilière. En attendant, rien n’est fait. En 2015, il y a dix ans, la commission violence présente le deuxième volet de son rapport à l’Assemblée de Corse. Dans l’hémicycle, la majorité est alors à gauche. Les nationalistes sont en grande partie opposés à l’approche. Rien n’est concrètement fait.
2019 : le débat sur le crime organisé réapparaît à l’occasion de l’assassinat à Cargèse de Massimu Susini et de la création des deux collectifs antimafia. Gilles Simeoni admet une certaine porosité entre le crime organisé et des nationalistes. Une session spéciale a lieu en novembre 2022 et une motion est adoptée. Des préconisations sont présentées en 2023 soit treize après la première séance avec un mot-clef, celui de mafia. Le procureur Bessone parle de « mafionalistes ».
Le débat actuel débouchera-t-il sur autre chose qu’un nouveau débat ? Le passé ne rend pas très optimiste. Mais il est possible que les enquêtes judiciaires notamment menées par la JIRS et le groupe spécial chargé de la criminalité en Corse débouchent sur des réalités étonnantes et détonantes.
GXC
PHOTO : D.R