Réflexion sur le succès très relatif de la manifestation anti mafia
On ne peut pas dire que 1500 ou 2000 personnes marchant sur le cours Napoléon contre << la mafia >> représente un échec.
Réflexion sur le succès très relatif de la manifestation anti mafi
On ne peut pas dire que 1500 ou 2000 personnes marchant sur le cours Napoléon contre « la mafia » représente un échec. Mais nous sommes très loin des espérances des organisateurs. Et ce semi-échec pose la question de l’après.
Un public âgé
Malgré de jeunes gens marchant en tête du cortège, les participants du 8 mars, étaient en moyenne âgée et plutôt des femmes. Pourquoi ce rendez-vous en partie manqué alors que Corse Matin s’était fait le porte-parole du mouvement et que tous les mouvements nationalistes à l’exception de Nazione et une dizaine d’associations avaient appelé à être présents aux côtés des deux Collectifs. Des représentants de la droite étaient également présents. Mais le sentiment était que chaque parti avait soigneusement dosé ses efforts pour une présence effective, mais singulièrement limitée afin que les Collectifs comprennent qu’ils ne sont pas capables de déplacer les foules. Car enfin, il est tout de même singulier que Femu a Corsica par exemple n’ait pas réussi à rassembler plus de quelques dizaines de militants. De nombreux responsables étaient absents eux qui se déplacent pour des évènements de moindre importance. On a le sentiment que tous étaient obligés de se montrer à cause de l’émotion causée par la mort de Chloé, mais ne désiraient pas en faire plus.
L’affect, maître des foules
On aurait bien du mal à savoir ce que pensent intimement les Corses du phénomène « mafia ». Peu sont capables de le définir précisément : c’est autant le cambrioleur que l’assassin. Le SIRASCO avait établi l’existence de 25 bandes criminelles en Corse dont certaines ont d’ailleurs disparu depuis l’écriture du document. C’est donc un maximum de soixante-dix personnes et moins encore de chefs qui sont à mettre hors d’état de nuire. On a du mal à croire que les 2000 gendarmes et les équipes d’enquêteurs présents sur le sol corse n’y parviennent pas. Ou alors la France a du souci à se faire si elle désire s’attaquer à des réseaux internationaux autrement mieux structurés que les bandes corses ? Donc le concept de mafia agité en permanence a du mal à être incarné dans la région de France classée la plus sûre du pays.
Et, comme toujours en Corse, c’est après un choc émotif que les mobilisations sont effectives pour ensuite s’éteindre aussi vite qu’elles sont apparues. Faut-il rappeler qu’en 1995 des femmes courageuses ont dénoncé la violence induite par la guerre entre groupes clandestins. 40 personnes avaient été assassinées dans l’année ? Des femmes nationalistes comme Victoire Canale, ancienne directrice du Ribombu, avaient pris la tête du mouvement qui avait mis dans la rue des milliers de personnes avec pour mot d’ordre oui à la vie, non à la loi des armes. C’était pourtant à leur initiative que des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté au lendemain de l’assassinat du préfet Erignac. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Rien pas même le souvenir. Des milliers de Corses ont marché une fois encore après l’assassinat d’Yvan Colonna en partie parce que le tueur était un djihadiste. Y a-t-il eu des suites ? Absolument pas. Il faut espérer que les Collectifs ne subissent pas un effet de mode éphémère. Mais rien n’est acté.
L’ambiguïté des Corses vis-à-vis de l’État
On reconnaîtra qu’il est presque cocasse que les deux créateurs des Collectifs qui autrefois faisaient leur miel du slogan « Statu francesu assassinu » au point d’avoir été militants voir dirigeants du FLNC, en soient arrivés à applaudir à des mesures du dit État dont on peut dire qu’elle taquine le liberticide. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau se livrent à une guerre à fleurets mouchetés en vue des présidentielles. Ils se livrent à une surenchère sécuritaire qui devrait inquiéter le citoyen. Les Collectifs militent ardemment pour que les lois italiennes soient appliquées en Corse. Mais qui peut croire à une comparaison possible ? L’État italien tout en faiblesse n’est pas l’État français. Les mafias italiennes pèsent plusieurs dizaines de milliards d’euros alors que la grande criminalité corse se fait bouter hors des territoires continentaux. Et puis enfin comment des personnes qui ont milité autrefois contre la Cour de Sûreté de l’État, qui n’ont eu de cesse de stigmatiser l’exception sécuritaire corse, peuvent aujourd’hui applaudir à des mesures sans même en avoir discuté. Ceux qui dénonçaient les « déportations » de militants et réclamaient le retour des prisonniers dans l’île redemandent, que dis-je exigent plus encore de bastonnades. Que tous ces grands cerveaux discutent avec les gens de la rue. Ils trouveront des citoyens légitimement inquiets voir angoissés par le récit qu’on leur fait de leur propre société présentée comme une jungle qui aurait tout des banlieues continentales. Mais ceux-là mêmes sont conscients que le délit d’association mafieuse par exemple, s’il est appliqué dans toute sa rigueur, démembrera des familles, enverra des innocents en prison et fera peser sur la Corse tout entière un soupçon de société mafieuse.
Sauver l’image de la Corse
La Corse possède deux sources de richesse : sa nature et partant son tourisme. Il va lui falloir désormais apprendre à développer des richesses pour ne pas avoir à toujours mendier à Paris. Dans une telle perspective, la communication, l’image que nous renvoyons de nous-mêmes est essentielle. Or qu’elle est elle actuellement ? Une île peuplée de fainéants qui demandent toujours plus, qui se laisse diriger par une mafia ou au choix par des cartels de la drogue, vendue à des promoteurs qui la bétonnent et contre qui s’opposent une poignée de croisés irréductibles rassemblés dans des associations valeureuses. Non mille fois non nous ne sommes pas cela n'en déplaise aux associations, aux médias continentaux et parfois hélas à certains de nos politiques.
La réalité est que nous ferions mieux de mettre en exergue nos artisans, nos agriculteurs, nos chefs d’entreprise, nos fonctionnaires qui travaillent honnêtement malgré une société de plus en plus injuste. Au lieu d’agiter l’épouvantail de la mafia en toutes occasions ne serait-il pas grand temps de mettre l’accent sur la question sociale l’un n’empêchant pas l’autre ?
Étonnants représentants des autorités étatiques
La Corse tape sur le système dans tous les sens du terme. Mais le système tape aussi sur la Corse. Ainsi le procureur Navarre a déclaré que la société corse était totalement nécrosée. Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. C’est évidemment faux ou alors le bilan de la justice est proprement calamiteux. La force et la violence sont les prérogatives de l’État. L’attitude du préfet est bien étrange qui dans son discours a mis sur un pied d’égalité les clandestins (du moins le présume-t-on) et l’État reconnaissant au nom de ce dernier des erreurs et appelant les clandestins à accomplir leur aggiornamento, le tout prononcé dans un mégaphone devant une foule émerveillée. Dans une île en panne d’autorité, un préfet devait-il tenir un pareil discours qui, par ailleurs, n’aurait rien de choquant dans la bouche d’un simple citoyen. Dans une île éruptive comme la nôtre, il est bon que chacun tienne sa place en évitant le mélange des genres. Car on peut se demander ce qui va arriver quand après les embrassades, les coups de bâton vont tomber.
Éviter le syndrome Bonnet
Le soupçon est déjà là quand Darmanin craint la porosité entre Corses et préconise des enquêtes approfondies sur les fonctionnaires insulaires amenés à travailler dans l’île. Qu’on regarde les archives journalistiques : la plupart des cas de corruption avérés entre policiers ou gendarmes et malfrats ont eu lieu sur le continent. En quoi et pourquoi serions-nous plus pourris que d’autres ? Nous avons évidemment nos brebis galeuses et la loi permet de dépayser des procès s’il est avéré que des jurés par exemple ont été approchés. Mais enfin c’est bien pire dans certaines banlieues où des témoins sont persécutés, agressés et doivent souvent déménager. Que je sache en Corse les policiers n’ont pas besoin d’habiter loin de leur lieu de travail pour éviter les agressions des criminels. Non, mille fois, non notre société n’est pas la pire d’Europe. Il fait bon y vivre et nous pourrions, si nous le désirions vraiment, en faire un petit paradis. Mais nous aimons nous poser en victimes, répéter ad nauseam que nous sommes la région la plus pauvre de France, la plus criminelle du monde. Nous possédons cette capacité à nous vautrer dans un malheur transformé en cauchemar.
Quelle suite pour le mouvement antimafia ?
La manifestation du 8 mars est d’une certaine manière un carrefour. Si les deux Collectifs ne jouent que sur l’émotion de faits criminels, ils vont finir par épuiser le capital de sympathie qu’is ont pu gagner en cinq ans et qui reste très relatif. Il va leur falloir inventer des relais dans la société, mettre au point un calendrier d’actions. Mais pour demander quoi ? Gérald Darmanin semble leur avoir accordé tout ce qu’il demandait. Il faudrait que désormais ils se livrent à ce qu’ils n’ont jamais fait : désigner des mafieux, des situations et surtout mettre en cause les relais politiques au sein de la société corse jusqu’au plus haut niveau.
Le Cullettivu M. Susini avait promis de dévoiler les arcanes de l’assassinat du neveu du créateur. Il n’en a rien été. A maffia nò s’est contenté de dénoncer un phénomène sans jamais le singulariser. Dans de telles conditions, c’est l’État qui prend la main et les Collectifs n’ont plus d’utilité. Mais si par malheur, la répression débordait en des excès qui provoqueraient l’exaspération populaire, ils en seront tenus pour responsables. « Société corse complexe, a écrit Pierrot Poggioli sur Facebook. Pas facile de démêler tout cela et de se contenter de postures de condamnation ou de désaveu… une société compliquée de proximité, de porosité voire de complicité, une société déprimante, désespérante souvent, mais c’est notre société, celle du peuple corse. » On ne saurait mieux dire.
GXC
Photo :D.R