Caroline Nasica à << BD à Bastia >>
La Corse , Tox et Castirla
Caroline Nasica à « BD à Bastia »
La Corse, Tox et Castirla
Avec ses plus de trente ans d’existence « BD à Bastia » s’amuse aux rayons de soleil printaniers ainsi qu’à l’air frais et joyeux qui ignore encore l’extrême chaleur estivale. Voilà autant d’invitations à sortir de chez soi. Organisatrice de la manifestation : Una Volta qui nous propose de découvrir plus d’une douzaine d’expositions réparties dans toute la ville du Centre culturel au Musée, de l’ « Arsenale » au Régent, de la Galerie Noir et blanc à la bibliothèque centrale. Et si l’on lève de nez dans les rues… Et si on s’attarde sur des vitrines… on peut suivre un parcours en dessins réalisé en collaboration avec les commerçants bastiais.
Cette année une jeune bédéiste corse, Caroline Nasica, nous montre des planches originales de son album, « Zia Zinzin » qui sort en librairie en même temps que se déroule le festival. Avec une jolie ironie tintée d’impertinence le livre nous offre un des retours en Corse qu’effectue fréquemment l’autrice qui habite Marseille. Les paysages tant aimés de la dessinatrice affichent le vert de la nature que des touches de couleurs viennent çà et là égayer. Précision : quand Caroline Nasica est de retour, c’est dans son village maternel de Tox et dans son village paternel de Castirla, villages qu’elle dépeint avec gaité et affection et où rien ne change. Mais est-ce vraiment vrai ?
Les tantes de la bédéiste se dressent telles des immortelles regrettant le temps d’avant, regardant sans aménité les nouveaux arrivants, qui sans vergogne achètent à tours de bras terres et maisons anciennes. Ulcérées les vieilles dames qui ont peur de perdre identité, langue et culture ancestrales. Les séquences intérieures, lieux où évolue la famille optent pour des bleus violacés foncés, pour des jaunes, des blancs, des noirs. Les traits des personnages sont dépouillés ne retenant que l’essentiel de leurs expressions. Leurs réactions colériques, par exemple, sont d’une étonnante efficacité.
Au fil du récit sur des tempos très vifs on croise ces malheurs, qui ne sont pas uniquement insulaires, mais qui prennent une singulière résonance dans une île où tout le monde connait tout le monde : drogue, héritages aux solutions trop souvent introuvables, indivision véritable casse-têtes, violence…
La Caroline de l’album – il est écrit et dessiné à la première personne – adore la fête au village et cela nous vaut des passages bien enlevés avec moqueries bien pointées ! Aux hommes corses la bédéiste ne fait pas de cadeau. Elle emploie à leur adresse un ton sans ménagement : messieurs vous êtes des dragueurs plutôt dépourvus d’élégance et de plus infidèles, le tout assaisonné à la sauce dérision.
Caroline Nasica sait provoquer un rire spontané. Elle sait aussi émouvoir à preuve l’amour plein de tendresse qu’elle ressent pour ses tantes même si parmi elles il y a des… zinzins.
Comme chaque année, à « BD à Bastia », le public aura tout loisir d’admirer le travail des auteurs, de rencontrer ceux-ci lors de causeries au café-Una Volta, ou pour une dédicace d’un livre dénuée de formalisme !
Michèle Acquaviva-Pache
• La manifestation réunit une trentaine d’artistes jusqu’au 6 avril. Mais certaines expositions durent plus longtemps… Celle de Caroline Nasica se clôt le 21 mai.
ENTRETIEN AVEC CAROLINE NASICA, bédéiste.
Votre « Zia Zinzin » est-ce une autofiction sur votre éternel retour n Corse ?
Oui, bien sûr, c’est une autofiction sur mes incessants allers et retours en Corse. Dans mon album j’imagine que je suis restée un an hors de l’île. En réalité, habitant Marseille et faisantun travail indépendant, je rentre tous les deux mois environ. Quand j’étais étudiante, il est vrai, que c’était impossible. Chaque retour sur l’île est un bonheur. Chaque départ est horrible.
Quelles sont vos saisons préférées ?
Je déteste l’hiver même si cela me permet de rester en famille. Je préfère l’été avec ses fêtes aux villages, avec sa chaleur. Hiver-été voilà deux ambiances différentes.
Comment définissez-vous votre parcours ?
Mes études m’ont conduit à être autrice, dessinatrice, illustratrice. Avec des amis nous avons créé un Espace culturel, impasse Montevideo à Marseille dans le sixième arrondissement. Mes amis sont directeurs artistiques. Ensemble, chaque mois, nous proposons des expositions : photos, peinture, dessins… Le lieu, « Mesure club » comprend une salle d’exposition et des espaces de travail pour nous.
L’île vous ne la fantasmez pas. Est-ce surtout les petits riens de la vie qui résonne en vous et qui vous rendent la Corse si attachante ?
Oui, ce sont les petits détails qui comptent beaucoup pour moi. Exemple : quand Tatie me fait à manger ! Mon but avec « Zia zinzin » est de faire un récit qui ne parle pas de l’île comme tout le monde Je m’arrête sur les choses intimes, sur la famille, sur nos vadrouilles en voiture, sur nos grandes tablées…
Travaillez-vous lors de vos séjours à Tox, à Castirla ?
Je me promets toujours de ne pas le faire. Mais finalement je le fais toujours ! J’enregistre des histoires, je prends des photos au prétexte de ne pas oublier lieux, paysages, personnages. J’ai la chance d’avoir un métier que j’adore et qui me permet d’exprimer ce que je ressens par l’écriture, par le dessin et c’est pour moi autant de séances de thérapie.
De Tox, de Castirla vous envoyé au lecteur des cartes-souvenirs en enchaînant les épisodes que vous vivez ?
Du côté paternel nous sommes de Castirla, du côté maternel de Tox, dans mon album il y a plus d’épisodes de Tox. Mes dessins peuvent ressembler à des cartes postales. Mais cartes-souvenirs ne parait plus juste ! Mon souci est de me garder constamment d’évoquer seulement de beaux paysages, j’insiste sur l’aspect sensoriel ? Ma BD ne concerne pas uniquement les Corses, je pense, en effet, qu’elle s’adresse également aux non Corses, plus précisément à ceux qui ne connaissent l’île que trois semaines l’été.
Qu’est-ce qui vous fait le plus de plaisir de dessiner ?
Tuco, le chien de ma sœur ! Dans « Zia Zinzin » contrairement à mes autres albums il y a bons nombres de paysages, car le récit s’y prête. J’adore dessiner mon père et m’attarder sur les expressions des personnages.
Dans votre livre défilent des histoires d’avant et de l’histoire contemporaine : autonomistes, FLNC, est-ce pour bien ancrer la Corse dans le temps et l’espace ?
J’en parle parce que ce sont là des étapes importantes. Il faut, que les gens qui ignorent tout de l’île, l’apprennent. Je veux d’ailleurs démolir certains clichés consistant à avaliser que tous l.es Corses détestent systématiquement les Français. Chez nous il y a différentes opinions, cela doit être dit. Moi, j’entends des avis contradictoires et j’estime que c’est bien ainsi. Des taties s’inquiètent de la perte de notre identité, de notre langue, de l’achat par des non Corses de nos terres et de nos anciennes maisons. J’aborde ces sujets parce qu’il ne faut rien escamoter. Seule je ne peux rien… sauf essayer d’éveiller la conscience collective.
Vous souligner ces plaies de l’île que sont la drogue, les dégâts de l’indivision, la vitesse sur route et son lot d’accidents. Est-ce pour vos éviter de tomber dans l’eau de rose ?
Voilà des problèmes si graves qu’ils nécessitent un questionnement de la part de chacun…Je fais aussi des peintures d’hommes sans concession. J’ai tellement entendu des femmes discuter à ce propos. J’ai vu tellement de scènes à ce sujet qu’il était difficile de me taire. Je remarque cependant qu’en 200 pages on ne peut restituer toutes les nuances !
De quelles manières choisissez-vous vos couleurs ?
C’est la première fois que j’utilise des couleurs et ce n’est pas facile ! Les couleurs viennent suivant le ressenti. Le jaune sur la peau est naturel parce que l’été le soleil se porte sur la peau. Le bleu du ciel est classique pour évoquer le beau temps. La chaleur de l’été, je voulais que l’on en ressente la sensation et les couleurs aident…
Bal – bar – bagarre pourquoi cette association ?
Ces trois « b » vont avec l’été. Heureusement chez nous la bagarre qui suit l’épisode du bal et l’étape du bar ne tourne pas trop au drame !
Nerveux, sobre, expressif, trépidant, comment définir votre style ?
Mes dessins ont un côté spontané, nerveux aussi et les couleurs qui viennent là-dessus les adoucissent ! Je recherche toujours l’expression sur les visages. Mais quand je brosse des portraits de ma famille je tiens à de la douceur.
M. A-P
Photo :Caroline Nasica
* Editions Dargaud. Prix : 23,50 euros