Le procés du Petit Bar : si proche et si lointain
Il se tient actuellement à Marseille un procés déterminant pour l'avenir de la lutte contre la grande criminalité corse.......
Le procès du Petit Bar : si proche et si lointain
Il se tient actuellement à Marseille un procès déterminant pour l’avenir de la lutte contre la grande criminalité corse : celui des ressources financières de ce qu’on appelle par facilité de langage, le Petit Bar. La presse insulaire s’en fait l’écho quasiment au quotidien et, pourtant on a cette impression que les Corses n’y prêtent aucune attention.
Des collectifs indifférents
Comment connaître le point de vue des Collectifs et associations autrement que par les réseaux sociaux. Ils étaient en pointe lorsqu’il s’était agi de promouvoir la manifestation antimafia. Pourtant, rien n’apparaît sur leur site, pas que sur celui d’u Levante qui y avait appelé. En d’autres termes, la preuve qu’il existe en certains endroits de notre île une activité criminelle qui pourrait s’apparenter à un système mafieux est parfaitement ignorée par ceux qui s’en sont fait une cible unique. Ce procès est le fruit de plusieurs années d’enquête, de sonorisations, de garde à vue. D’une certaine manière, elle est autrement plus édifiante que les déclarations du « premier repenti français », Patrick Giovannoni. Car l’enquête a mis au jour les relations entre des chefs d’entreprise, des voyous, des blanchisseurs d’argent donc d’un système. Ce qui est révélé montre à quel point le grand banditisme insulaire a réussi à s’insérer dans le tissu économique insulaire. Tout cela aurait dû faire le miel des Collectifs. Ils n’ont visiblement pas eu d’autres soucis que de s’autocélébrer mettant en avant l’interview commune de Jean Toussaint Plasenzotti et Leo Battesti dans Corse Matin. C’est pour le moins léger.
Ce que nous dit ce procès
La Brise de Mer avait réussi au fil de sa longue histoire de deux décennies à échapper à un véritable procès « de groupe ». Claude Chossat, qui n’était en définitive qu’une petite main, a décrit un système communautaire qui aurait volé en éclats après les velléités autonomistes de Richard Casanova. Cette attitude lui aurait valu la haine de Francis Mariani qui s’était rapproché du Petit Bar. Ce groupe de criminels n’était pas contrairement à ce qui a été raconté l’émanation de Jean Jé Colonna. Pour en avoir parlé avec lui, je sais combien il était fâché qu’Ange Marie Michelosi « utilise » ces hommes de main au service de sa propre ascension. D’ailleurs, après la mort de ce dernier, le Petit Bar a pris son envol et oublié le Petit Bar cet établissement qui appartenait à la famille Michelosi. En définitive, n’en déplaise à ceux qui pensent que Chossat a été celui qui a levé le voile sur les mystères de la criminalité ajaccienne, nous ne savons du fonctionnement de cette bande qu’une infime partie. Comment les gains étaient-ils répartis ? Qui avait la connaissance des réseaux financiers ? Qui traitait avec les autres bandes criminelles ? Ce procès se heurte au mutisme des mis en examen. Mais il en dit long sur l’étendue de son territoire grâce à des entrepreneurs et pas n’importe lesquels.
Des voyous bourgeois
Mais il raconte aussi une histoire très corse. Alors que la criminalité pousse sur le fumier de la misère, et plus encore les mafias, en Corse les criminels sont souvent issus de familles de la bonne bourgeoisie insulaire. Nous n’avons pas affaire à des mafieux générationnels pas plus qu’à des fleurs de pavés qui seraient tombés dans la délinquance poussées par la misère. Ce sont des hommes qui ont côtoyé sur les bancs scolaires leurs futurs complices qui eux ont réussi de la façon la plus légale qui soit. En règle générale les voyous sont des Corses d’origine tandis que les « amis » dont issus de parents venus du continent quelques décennies auparavant. On ne saurait nier ce phénomène psychologique qui veut que le Corse aux racines anciennes possède un ascendant sur celui qui pour des raisons multiples, se sent quelque part pièce rapportée quand bien même il est devenu corse par la culture et le mariage d’un parent. L’origine sociale des voyous a une importance dans une île qui contrairement à ce qui dit à l’extérieur, respecte la hiérarchie sociale. Ceux qui ont connu les années soixante-dix savent à quel point les voyous corses qui avaient réussi sur le continent étaient sollicités dès qu’ils revenaient dans leur île natale.
Trouver les appuis politiques
Les voyous peuvent exister en toute indépendance tant qu’ils ne cherchent pas à se notabiliser. Or c’est une loi qui existe sur tous les continents : passé la cinquantaine, le criminel rêve d’être reconnu pour un citoyen honnête. Jean Jé Colonna me confiait à quel point le monde criminel est un monde de fauves dans lequel les règles romanesques de l’honneur sont rarement appliquées. Pour détruire le concurrent, la plupart des voyous (pas tous j’en connais qui sont des hommes de parole) n’hésitent à balancer, à tuer, à s’attaquer à des innocents. Pour gagner de l’argent aujourd’hui, les sources sont peu nombreuses : drogue, blanchiment d’argent à travers l’immobilier et racket. Mais qui touche à l’immobilier a besoin de trouver des soutiens au sein du monde politique. C’est indispensable. Or, le procès du Petit Bar ne va vraisemblablement rien révéler de particulier à cet égard. Quant aux collectifs, ils paraissent mépriser cet aspect de la question qui est pourtant indispensable pour démontrer qu’il existe un système mafieux. Quant à l’État, il tremble dans ses chausses à la seule idée de provoquer une réaction en Corse et, osons le dire, donne le sentiment d’étouffer les enquêtes qui pourraient par exemple permettre d’y voir un peu plus clair dans les affaires de la Chambre de Commerce et d’Industrie qui est désormais unique et va dépendre de la Collectivité.
La lâcheté et la complicité des services de l’État
L’État français ressemble en définitive beaucoup à la Corse. Si on en croit l’apparence, c’est un formidable appareil de guerre bardé de courage et de férocité. Mais quand on y regarde de plus près, c’est une brebis grelottante de peur. Les ministres viennent ici et promettent la guerre contre le crime, un parquet machin chose, des prisons en veux-tu en voilà. Mais nous savons par expérience que tous racontent ce qui peut leur apporter des voix. Policiers et magistrats font souvent leur travail, mais sont bloqués par une absence de volonté politique dans le meilleur des cas, une décision de tout arrêter dans le pire. À qui va-t-on faire croire qu’une cinquantaine de malfrats sont impossibles à mettre au pas ? Mais il est vrai que la France qui se pare de mille vertus est tout de même en bonne place pour la corruption. Nous en sommes tout de même au deuxième président de la République condamné sans compter les Premiers ministres eux-mêmes impliqués dans des affaires de corruption. Quant à la Corse, ma foi, elle fait le grand écart entre l’image d’Épinal la ramenant à Colomba, Sampiero Corso et tutti quanti et sa réalité : une population qui n’a cessé de trembler et d’hésiter entre les gendarmes et les bandits, la répression officielle et celle, peut-être plus terrifiante de la voyoucratie. Tant que nous ne pourrons pas faire confiance en cet État qui ne cesse d’hésiter lui aussi, de procrastiner, de mentir médiocrement, il y a peu de chances que les Corses prennent leur courage à deux mains et prennent les risques de se confronter à une délinquance dont les effets paraissent souvent lointains.
Les morts et la mémoire
Qu’est-ce qui émeut le citoyen ? La petite délinquance qu’il s’en prend directement aux individus et les assassinats qui frappent des innocents. Une fâcheuse tendance chez nous est à chaque mort violente de nous interroger sur les raisons de cet acte. « Qu’est-ce qu’il aura fait ? » se demande-t-on aussitôt. Dans notre imaginaire bien peu d’entre nous échappent au soupçon pernicieux. Récemment, deux assassinats ont ému les Corses : celui de la jeune Chloé qui avait eu le malheur de vivre avec un compagnon de mauvaise fréquentation. La réalité la seule qui nous importe est que des salauds — et non pas des maladroits — ont tué une gamine de dix-huit ans. Pourquoi revenir sur ce drame ? Parce que l’assassinat de Pierre Alessandri l’a relégué au fond de notre mémoire. Et Pierre Alessandri subira inévitablement ce triste sort. Un drame chasse le précédent. Et cette amnésie sert les criminels. Ils savent qu’après un court laps de temps plus personne excepté celles et ceux qui ont souffert dans leur chair, ne se souviendra de la victime. Qui peut donner les noms des policiers, gendarmes ou civils assassinés par le FLNC ? Qui se souvient des militants clandestins tombés au cours de la guerre fratricide des FLNC ?
Se rappeler pour ne pas commettre les mêmes funestes erreurs
L’État réveille chaque année le souvenir du préfet Erignac. C’est souvent accablant pour la Corse qui n’était pas responsable collectivement de cet assassinat, mais l’État a raison d’agir ainsi. Comme les antimafieux italiens ont raison de régulièrement prononcer les patronymes de celles et de ceux que la mafia a exécutés. La mémoire est la seule arme pour combattre efficacement le crime et que celui-ci soit définitivement rejeté dans l’infamie. Dans l’une des sonorisations effectuée par la police dans le domicile parisien de Jacques Santoni et reproduite par la presse, on entend ce dernier se glorifier d’être un voyou. Avec une sincérité désarmante, il envoie à la figure de sa belle-mère que voyou est le statut qu’il revendique. Mais cela signifie aussi que ce statut le valorise auprès de certains policiers, de certains magistrats, de certains hommes d’affaires. Et tant que cette mythologie persistera, il ne faudra pas demander au petit Corse d’être plus royaliste que le roi. Disons-le franchement : les annonces de Gérald Darmanin n’ont quasiment aucune chance de voir le jour. Il y aura à nouveau des enquêtes bloquées en haut lieu parce qu’un des protagonistes aura réussi à toucher un conseiller du Prince. Et la Corse continuera de végéter dans un système qui secrète ces accointances, ces coquineries criminelles. Le remède : développer des projets, croire en soi, mépriser les parasites et être enfin tel qu’on voudrait être.
GXC
Photos: D.R