L' inéligibilité de Marine Le Pen : un pas de plus vers l'imprévisible
Marine Le pen a été en grande partie responsable de sa condamnation à l'inéligibilité
L’inéligibilité de Marine Le Pen : un pas de plus vers l’imprévisible
Marine Le Pen a été en grande partie responsable de sa condamnation à l’inéligibilité. En premier lieu, c’est elle qui au cours des années 2000 n’a cessé de réclamer des peines de plus en plus lourdes pour les politiques condamnés pour détournement de fonds. Elle était allée jusqu’à réclamer leur inéligibilité à vie. Mais surtout, elle a adopté une stratégie de défense qui ne laissait aucune porte de sortie au magistrat et moins encore en appel. C’est d’autant plus surprenant que la présidente du RN est elle-même avocate.
Une condamnation ou une exécution
Marine Le Pen a traité la présidente du tribunal de « juge rouge » laissant entendre que Bénédicte de Perthuis aurait voulu l’écarter des élections pour des raisons politiques. Or le parcours professionnel de cette magistrate raconte le contraire. C’est aux dires de tous ses confrères et des journalistes qui l’ont côtoyée, une spécialiste du droit économique qui a été à maintes reprises confrontée à des affaires de détournement d’argent. En se proclamant innocente de tout délit et en revendiquant le droit de disposer de l’argent dédié aux assistants parlementaires pour le bien de son parti, elle s’est passé la corde au cou. Car elle indiquait ainsi qu’elle n’entendait pas renoncer à de telles pratiques. C’est ce qui a justifié les propos du tribunal relatif à l’élection présidentielle. Quelle serait l’attitude de Marine Le Pen si elle arrivait à la plus haute marche du pouvoir. Marine Le Pen dénonce une exécution. Le droit y voit une condamnation qui, par ailleurs, va faire objet d’un appel, signe que nous ne sommes pas dans une dictature.
Marine Le Pen incarne-t-elle seule le Rassemblement national ?
Ce qui est en cause est l’inéligibilité immédiate, mesure qui existe dans l’arsenal juridique depuis 1992 et qui a été appliquée à maintes reprises sans que cela suscite de protestations de la part des partis politiques. Il faut rappeler que la mesure d’inéligibilité n’est pas automatique contrairement à ce qu’a déclaré Marine Le Pen. Dans un arrêt de 2017, la Cour de cassation rappelle qu’elle vise « à prévenir la récidive ». Ce risque a bien été invoqué par la présidente de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, qui a pointé la défense des prévenus, ceux-ci ayant rejeté en bloc les faits qui leur étaient reprochés, « niant jusqu’aux évidences ». Par ailleurs, la condamnation de Marine Le Pen n’interdit en rien au Rassemblement national de présenter un autre candidat et de voler vers la victoire. Or les sondages démontrent que même s’il est acquis que l’antériorité de Madame Le Pen la rend populaire, le candidat Bardella obtiendrait sensiblement le même nombre de voix qu’elle au premier tour.
Tenir bon sur les principes
La décision judiciaire a été critiquée par bon nombre d’hommes politiques pour de pures raisons de tactique politicienne ou de menaces personnelles. C'est notamment cas de Jean-Luc Mélenchon qui encourt lui aussi une condamnation. Mais ’est la loi qu’il faut condamner et non les magistrats qui l’appliquent. Quant à ceux qui menacent physiquement les magistrats, ils doivent être réprimés avec la plus sévérité car c'est alors l'état de droit tout entier qui l'est. D’autres élus ont dans le passé subi le même sort sans soulever de telles protestations: Alain Juppé, Jérôme Cahuzac, Henri Emmanuelli, Patrick Balkany et même en 1998 Jean-Marie Le Pen. Qui s’en souvient ? Et qui a alors accusé la justice d’être aux ordres d’on ne sait qui ? Le tribunal aurait pu être accusé de laxisme pro RN s’il avait rendu un verdict particulièrement clément. Or il est essentiel que dans un état de droit la justice puisse faire son travail sans être accusée de pencher vers l’un ou l’autre des bords politiques. On peut contester la justesse du verdict et c’est la raison pour laquelle on fait appel, un appel perdu si Marine Le Pen conserve sa ligne de défense particulièrement stupide. Mais la dérive illibérale des démocraties est telle qu’il faut tenir bon sur les principes.
Une Ve république aux abois
Il ne fait aucun doute que cette condamnation va précipiter la chute de la Ve République. Le RN n’a plus qu’une seule raison de ne pas voter la censure : éviter à Marine Le Pen de perdre son poste de député. Mais il peut aussi juger que le moment est venu de balayer le gouvernement Bayrou faisant ainsi entrer la France dans un chaos dont on peine à percevoir la sortie. Il est vraisemblable qu’au sein de la droite finira par émerger Édouard Philippe qui peut l’emporter. Mais bien malin celui qui peut prévoir les conséquences du conflit ukrainien et des mesures isolationnistes de Donald Trump en matière d’économie. Voici revenue le temps des vendeurs d’illusions, mais aussi celui des périls autocratiques. Toutes les républiques se sont données à un homme providentiel. Le futur Bonaparte reste à trouver.
GXC
illustrations : D.R