• Le doyen de la presse Européenne

Henri Caillavet : mon maître

Une irritation à l'encontre de ce qui lui apparait être plus que de l'irrespect et de la désinvolture.........

Henri Caillavet, mon maître



Permettez à un avocat à la retraite qui se plait à commettre quelques articles de temps à autres, afin de livrer au monde ses analyses et ses humeurs, d’exprimer céans son irritation à l’encontre de ce qui lui apparait être plus que de l’irrespect et de la désinvolture.


Depuis plusieurs mois, sinon quelques années, on parle euthanasie, fin de vie, droit de mourir dans la dignité, mères porteuses même, et jamais l’on ne cite celui qui fut l’apôtre de ces innovations conceptuelles, sémantiques et législatives, le sénateur Henri Caillavet. Ces débats, nous les lui devons, comme la loi qui porta son nom, la loi Caillavet, avait inauguré le prélèvement automatique d’organes en cas d’accident immédiat, afin de pourvoir les hôpitaux en demande d’organes dans les cas d’urgence absolue, loi votée à l’unanimité, abolie par le funeste gouvernement provisoire d’Edouard Balladur après un faux débat de fausse éthique. Les controverses reprennent tant pour le droit de mourir dans la dignité, association qu’il présida avec panache, que pour les mères porteuses dont l’innovation charitable reste l’objet d’un consensus du mensonge et de la lâcheté pour lui en dénier toute pertinence. Où veut-on donc aller à force d’euthanasier les idées plutôt que les suppliciés de la douleur obligatoire.


Dans un tout autre ordre d’idée, l’actualité a suscité dans mon esprit une interrogation peut être convergente à la faveur d’une réflexion sur le livre et donc la lecture. L’innovation intellectuelle se nourrit de la pensée réflexive. Le mot est à la base de toute pensée, or le mot s’écrit pour être compris et s’il est prononcé, c’est bien parce que la chaine de son emploi l’articule dans le canal d’un raisonnement. Le mot n’est pas un cri. En tous cas pas chez les humains. C’est pourquoi la lecture n’est pas qu’éducative, elle est distinctive, l’humain n’est pas qu’un animal. Le chien ne lit pas.

Le salon du livre a révélé l’importance du marché du livre d’occasion. Comme à son habitude, le crétin envieux qui réside au sein de la puissance publique en tire la conséquence qu’il y là matière à taxer. Là, ce sera au prétexte des droits d’auteur éludés (dit-il) au détriment des auteurs. Et le lecteur, bougre d’âne, il ne compte donc jamais que pour du beurre !Et faudra-t-il taxer aussi les livres écrits par des auteurs défunts depuis plus de soixante-dix ans, au prétexte du primat de tout ce qu’on peut prélever pour nourrir ce monstre obèse qu’est devenu l’Etat ?

Taxer Molière aussi,Victor Hugo ?


Derrière cette saleté, comme d’habitude avec le préleveur public habillé de bons sentiments, on notera cependant avec satisfaction qu’il demeure un interêt pour la lecture dans le public. J’en profite pour dire ceci : le livre d’occasion est une mine d’or qu’il faut valoriser car il demeure à l’abri, surtout s’il est ancien, du caviardage du style et des idées.

Plus encore, réorienté par une critique résolue que pourraient soutenir des organes de presse non corrompus par le wokisme et l’abandon identitaire, cela peut être le chemin de la redécouverte des auteurs et de la langue, le ressourcement en somme de la pensée, et surtout l’instrument de la réappropriation de sa culture par la jeune population en quête d’authenticité. Le livre ancien, c’est la nique faite aux censeurs, aux ignorants et aux médiocres ! Ah ! si c’était vrai ! Lire Jean Giraudoux, Jules Romains, Roger Martin du Gard, Maurice Barres, Andre Gide, (celui des faux-monnayeurs), lire Nabokov, sans prejugés ni notes en bas de page, lire Villiers de l’Isle Adam, Barbey d’Aurevilly, Balzac, Proust, Valery, Pierre Benoit, Henry de Montherlant et Pierre Loti, en comprenant la langue, sans correcteur orthographique, cette prothèse pour imbéciles, lire en somme et pour une fois comprendre ce qui est dit et ce qu’on est!

En tous cas c’est une voie : il faut la suivre. Il en va de la littérature comme de la musique, il n’y a pas d’autre chemin pour construire un destin collectif distinct de la fange du maraudage que signifie la perte de l’autonomie de ses choix par l’implication dans un groupe dont le but avéré est la dissolution des singularités héritées de l’histoire par les membres qui le composent. Parlons de l’histoire précisément : celle de tout peuple, de toute nation , est un récit pour lequel la chaine des générations a forgé une langue. C’est par le respect des règles de celle-ci, et par sa connaissance que doivent cheminer les idées, hors cette contingence événementielle ou sociale que l’on nomme la morale du temps. En cela l’enseignement du maître dont j’ai parlé en tête de cet article était précurseur : sa portée reposait sur l’évidence de son énonciation. C’est pitié de voir qu’aujourd’hui ceux qui s’en inspirent et le pillent sans aucune vergogne omettent de le citer, pour s’accaparer le mérite de son verbe et de ses hardiesses. Permettez à celui qui eu l’honneur insigne de collaborer à son cabinet d’avocat dix ans, de se souvenir de lui et de lui rendre justice : les débats qui agitent aujourd’hui l’opinion se font avec ses mots.


Jean-François Marchi

Illustration J.F.M
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