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Attention : Corse, société fragile !

On ne peut se réjouir de la création d'une antenne corse d'un futur Parquet National Anti Criminalité Organisée ( PNACO ).

Attention : Corse, société fragile !



On ne peut que se réjouir de la création d’une antenne corse d’un futur Parquet National Anti Criminalité Organisée (PNACO). De surcroît, le projet tel qu’il a été décrit par Hélène Davo, la première présidente de la Cour d’appel de Bastia et Jean-Jacques Fagni, le procureur général près de la Cour d’appel de Bastia, semble des plus intéressants. Il faudra cependant que cette nouvelle structure parvienne à éviter un conflit d’intérêts avec la JIRS du Sud Est et travaille dans les domaines situés en amont et en aval du fait criminel.


Le lancement d’une réflexion


On le sait la Corse a beaucoup souffert d’un manque de coordination et de cohésion des forces de répression, mais aussi de directives politiques qui allaient à l’encontre du but recherché à savoir la mise au pas de la grande criminalité insulaire. On ne compte plus les enquêtes sabotées par les félonies, les fuites organisées entre services à commencer par l’enquête sur l’assassinat du préfet Érignac. La porosité est aussi est mal qui a durement affecté les enquêtes de gendarmerie comme de police. Et parfois cette porosité était volontaire comme ce fut le cas avec le comportement pour le moins catastrophique d’officiers des ex-Renseignements généraux. Pour Jean-Jacques Fagni, l’idée de la création d’une antenne du PNACO « est venue en réponse à une double problématique : la particularité de la criminalité organisée en Corse et celle du territoire insulaire. Cela crée une criminalité organisée originale par rapport au continent. Et pour mieux la combattre, nous avons porté la nécessité de créer des moyens originaux ».

La spécificité corse

Il revient à Hélène Davo d’avoir mis en exergue sur la spécificité corse. « Ce pôle spécialisé régional permettrait d’avoir une vision régionale, y compris en termes de renseignements. » Le débat sémantique sur la mafia a brouillé les pistes laissant entendre qu’il faudrait ramener chaque situation à un concept plus général. Or les propos de la première présidente de la Cour d’appel de Bastia, permettent d’espérer qu’on va enfin se pencher sur la criminalité corse avec un regard neuf, attentif à ses particularités. Il serait bon de comprendre pourquoi jusqu’à aujourd’hui, cette région qui possède le plus fort taux de gendarmes et de policiers par habitant continue de caracoler en haut du panier des assassinats par habitant sans oublier le phénomène du racket généralisé notamment en plaine orientale. « Le sujet n’est pas d’enlever des affaires à la JIRS. C’est plus de travailler sur des affaires sur lesquelles on ne travaille pas aujourd’hui » c’est-à-dire d’avoir une connaissance suffisamment bonne du terrain pour parvenir à anticiper les délits, mais aussi donner confiance à la population. « Si on a plus de temps pour travailler sur la criminalité organisée, on peut faire une politique pénale plus proactive, où on n’attend pas qu’un assassinat ait eu lieu pour dérouler la pelote à l’envers. »

Travailler en aval et en amont


Le crime corse décrit par le concept général et flou de mafia empêche une approche fine du terrain sur lequel il germe et grandit : la société corse est tissée de mille liens qui possèdent tout à la fois leurs avantages et leurs inconvénients. Il revient aux enquêteurs puis aux magistrats d’en comprendre la complexité et d’opérer les parties malades sans endommager celles qui non seulement sont saines, mais indispensables à la survie de notre identité. Encore faut-il accepter l’idée que le crime n’est pas un apport extérieur à notre société, mais une sécrétion endogène. Contrairement à ce qu’affirment de conserve collectifs et magistrats, le mal est consubstantiel à ce que nous sommes d’où la difficulté d’un traitement efficace. Il s’agit en premier lieu de déterminer les parties cancéreuses et de les isoler de leur substrat sociétal. Un criminel n’existe que tant qu’il est protégé par le monde dans lequel il a toujours vécu. Et pour cela il faut des continentaux mais aussi des Corses. Il faut lui retirer les possibilités de blanchir les fruits de son crime. Sans une action intelligente sur ces deux pôles opposés, on ne fait que réprimer en général un crime déjà consommé. C’est en quoi la création de l’antenne locale du PNACO peut être novatrice et efficace. Encore faut-il disposer d’un personnel volontaire et compétent notamment en matière de comptabilité afin de comprendre les montages financiers mis au point par les délinquants. Et pour l’heure, il n’est pas certain que la Corse soit un territoire suffisamment attractif pour des magistrats ambitieux.

Un tissu sociétal fragile


La société corse est malade de sa difficulté à s’adapter aux changements extérieurs qui induisent des bouleversements internes. C’est un mal qui la ronge depuis qu’elle existe. Sans cesse au fil des siècles, elle s’est adossée aux pouvoirs conquérants pour tenter d’en tirer le maximum de profits ne cherchant pas au fil des siècles à développer son propre génie. Cette attitude a le plus souvent provoqué une fuite des talents vers l’extérieur. La seule période de renversement de cette fâcheuse tendance a été celle du paolisme. La gestion calamiteuse de l’actuelle majorité nationaliste ne prête pas à l’optimisme. Que reste-t-il de notre culture ? Une langue en perdition. Des chanteurs qui de plus en plus souvent entonnent des couplets guerriers devant des touristes ravis. Des villages désertés au profit de villes bétonnées. Notre dernier filet est celui de nos solidarités internes, nos parentés, nos amitiés. C’est le bien le plus précieux qui nous reste. Or les revendications des deux collectifs anti-mafia à savoir une justice alignée sur la justice italienne qui elle-même s’est inspirée de la justice italienne menacent grandement ce tissu sociétal devenu si ténu qu’il peut disparaître à tout instant.

Une fausse impression de justice


La justice italienne a créé trois outils de lutte antimafieuse. La plus efficace a été la lutte économique permettant de percer les secrets bancaires. Le carcere duro permet un emprisonnement sans rémission qui, il faut l’avouer bafoue les libertés élémentaires. La loi sur les repentis a instauré un paradoxe infernal. Un chef mafieux a intérêt à monter l’association criminelle la plus performante pour pouvoir le cas échéant échanger ses connaissances contre son impunité. Mais elle crée surtout une injustice majeure : les familles des victimes savent que leur bourreau ne sera jamais puni à la hauteur de ses crimes. Une telle transaction, tout droit sortie d’un droit américain fondé sur le deal, est profondément immorale. Il est contraire à la justice telle que nous la considérons et, en Corse, elle reviendra à obliger les familles meurtries à appliquer elle-même une sentence de mort selon la formule ancienne « La justice t’absout, moi je te condamne ». En d’autres termes, une mesure reviendra à créer un désordre plus important que celui qu’elle prétend résoudre. Sans compter qu’elle permet toutes les manipulations notamment quand le repenti fait parler les morts.

Une société qui vit de peurs fantasmées


Nous ne savons pas à ce jour si la création de ce PNACO est une promesse électorale destinée à renforcer l’image de Gérald Darmanin ou s’il deviendra un jour une réalité. Le pôle économique mis en place après le rapport du procureur Legras n’a guère permis de résoudre de grandes affaires faute de personnel et de volonté politique. L’arrivée massive de la drogue, des défis qu’elle suppose permet d’espérer que les propos tenus par le procureur et la présidente de la Cour d’appel seront suivis d’effets. Mais il est indispensable pour cela fonctionne de rassurer les Corses. Ils forment une population qui vit beaucoup de fantasmes et de peurs plus ou moins exagérées. Elles ont cependant un effet : la non-participation des citoyens à une répression que pourtant ils appellent de leurs vœux. Espérer pourtant que la délation deviendra un fait de masse chez nous serait se bercer d’illusions. Jamais un cousin ne dénoncera un cousin, un père son fils. Non par crainte, mais parce que notre société est faite d’un tel maillage. On peut l’appeler clanique, tribal ou même mafieux, ça ne change rien à la réalité. À l’inverse, la société corse aspire sincèrement et profondément à une justice impartiale. Là se situe une partie de la solution. Nous sommes profondément convaincus qu’une société sans justice est livrée à la loi du plus fort c’est-à-dire à celle des voyous. Mais nous constatons que par exemple dans la région ajaccienne des assassinats, des menaces, des crimes divers sont commis sans même qu’il y ait d’enquêtes dignes de ce nom.

Obtenir des résultats


Les récents résultats obtenus par la police et la gendarmerie en matière de répression de la drogue ont fortement impressionné les Corses qui se mettent à espérer que les petits arrangements entre voyous et politiques vont être mis à jour. Sans résultats probants, la justice ne sera pas prise au sérieux. Mais puisque le concept de mafia fait florès, il faut que désormais la justice s’attaque aux aspects obscurs de notre société qui concerne les accointances entre politiques et voyous. Il faut qu’elle ose dénoncer les turpitudes des vaches sacrées protégées par on ne sait trop quel appui parisien au nom d’une réputation qu’il est difficile de mettre en doute. Il faut que la réalité de la justice rejoigne à un moment donné ce qui se murmure sous le manteau et qui, hélas, bien souvent est une réalité oppressante. La justice ne peut être considérée comme juste que si elle frappe avec justesse et évite de devenir un outil d’oppression. Le chemin est étroit, mais il existe. Et si le PNACO le suit, il sera étonné de la facilité avec laquelle il obtiendra victoire sur victoire. Mais qu’il s’attende à de vives réactions lorsqu’il touchera à des centres nerveux du pouvoir politique local.

GXC
photo: JDC
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