Vive la liberté ! avec Jean-Marie Rouart dans « Drôle de justice »
Jean-Marie Rouart nous donne à lire un livre bienvenu, en ces temps de tiédeur généralisée
Vive la liberté ! avec Jean-Marie Rouart dans « Drôle de justice », chez Albin Michel
Jean-Marie Rouart nous donne à lire un livre bienvenu, en ces temps de tiédeur généralisée où, sous prétexte de n'offenser personne, on ne dit plus rien.
C'est ainsi le règne de la pensée vide ou autrement dit une absence de pensée.
Tout n'est plus hélas que « communication », l'autre nom de la propagande, bien connue depuis fort longtemps, si ce n'est depuis la nuit des temps.
Ce beau livre nous procure un grand bol d'air, car nous avons plus que jamais besoin de respiration. Il nous donne à réfléchir et donc à penser, alors même, qu'alentour, tout nous incline à l'abêtissement et au suivisme moutonnier de ceux qui se complaisent dans la servitude.
Se référant à Tolstoï, et en référence au titre de son ouvrage, Jean-Marie Rouart nous dit que le grand écrivain veut dénoncer le fait, « qu'en réalité les juges ne sont pas là pour ce que le bon peuple imagine : rendre la justice, mais pour protéger un ordre social dominé par une caste ».
L'auteur nous rappelle que la justice, comme toute œuvre humaine, n'est faite précisément que par des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses.
Et certaines fois, la faiblesse touche à l'ignoble, comme le souligne Jean-Marie Rouart, en citant le cas de la tentative de suicide de Pierre Laval (qui avala pour cela une capsule de cyanure) alors qu'il avait été condamné à mort pour faits de collaboration. Pour que la peine soit appliquée, « faut-il qu'il y ait eu des hommes comme le procureur général Mornet qui, sentant que les forces de l'ombre allaient lui ravir leur proie, aient eu le cœur de lui faire administrer un lavage d'estomac ».
Il n'y a rien, hélas, à ajouter.
Ceux qui vénèrent l’oeuvre de justice, et surtout son caractère d'une œuvre au-dessus de toutes autres considérations, comme on voue un culte aux fausses idoles, sont invités à méditer sur cet épisode.
Ils oublient que de tout temps, le droit n'a jamais été que celui des vainqueurs et, quoi qu'il en soit, n'est et ne sera jamais qu'un instrument. Il n'est qu'une chose, un simple choix. Comme les hommes ne sont que des simples mortels.
Est également devenue fort opportune en ces temps de tension, la mise en avant de cette pensée de Paul Valéry selon laquelle, « la guerre c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».
Face à ce monde de chaos, Jean-Marie Rouart nous donne le viatique pour échapper à une époque délétère : c'est la littérature.
Elle est au-dessus de tout, par la puissance du souffle ardent de l'espérance qu’elle nous insuffle : « il y a là une source vive, consolatrice, mais aussi explosive, car elle contient les germes d'une révolte. Ce qui la rend subversive, suspecte à l'ordre social, qui y voit une sorte d'insoumission ».
Quoi de plus puissant en effet que ces fenêtres sur le réel qui nous sont données pour nous permettre de voir tous les mondes. La littérature est un des seuls « lieux » où règne la vraie liberté. Rien n'est plus précieux que la littérature dans notre monde du contrôle, de la règle, de la norme, bref de tout ce qui nous étouffe. Et c’est cette oppression douce que, hélas, beaucoup subissent, parfois consciemment, sans même avoir l'idée d'émettre une critique, car ils sont persuadés que le Bien est en marche.
Et l'on ne peut que citer de nouveau Jean-Marie Rouart lorsqu’il reproduit cette parole forte de Léon Daudet : « Quand il s'agit de littérature, je me fous de la France ».
Entendant souligner par là, pour les sots qui sont toujours légion dans l’ordre de la bien-pensance, que rien ne peut être au-dessus de la littérature car elle est vie et nous donne à voir et à comprendre la vraie vie.
La seconde partie de ce bel ouvrage est une pièce de théâtre mettant en scène un magistrat avide d’honneurs, et prêt à sacrifier le sien, et celui des siens, pour que rien ne puisse faire obstacle à sa promotion. Une description à petites touches de la bassesse de certaines âmes, celles qui, souvent, se disent constituer l’ossature du corps social.
Jean-François Poli
Photo : J.F.P