Caroline Poggi et Jonathan Vinel : Bébé Noël et "Bébé Colère"
Pourquoi ne pas inviter à la fête de Noël "Bébé Colère"
Caroline Poggi et Jonathan Vinel
Bébé Noël et « Bébé Colère »
Pourquoi ne pas inviter à la fête de Noël «Bébé Colère» de Caroline Poggi et Jonathan Vinel ? «Bébé Colère», dernier court-métrage de ce duo de cinéma déjà reconnu par le public et la critique.
Déjà récompensé d’un Ours d’Or à Berlin. Pas ordinaire ce « Bébé Colère »!
Et pourtant n’est-il pas un enfant de notre temps ?
Petit nœud rose dans des cheveux blonds et bouclés. Tee-shirt bleu. Culotte blanche. Yeux immenses et interrogateurs. Il, enfin elle, puisque c’est une fille, est craquante. Attendrissante. Mignonne. Elle nous vient tout droit de la 3D mais pour la poupée-poupine on repassera ! Elle n’a pas de prénom. Pas de parents. Ne ressemble à personne. Elle est rage. Furie. Tempête. Ce monde dans lequel on l’a catapultée, dégueulasse à souhait, elle le refuse. Elle se sent coupable d’exister. Veut mourir mais c’est son amie l’étoile qui est brisée et meurt.
La colère c’est sa survie ? Peut-être…
«Bébé Colère» est malheureuse. «Le spleen frappe à sa porte». La vue d’un bout de lotissement banlieusard avec son béton n’arrange rien. Même un beau coucher de soleil est illusoire et s’apparente plus à un chromo de pacotille qu’à un panorama réconfortant, apaisant. «Bébé Colère» a-t-il une consolation ?
Oui, mais elle est fugace car elle ne dure que l’espace d’une bouchée de « brookie », gâteau mélange de brownie et de cookie. Ce bébé-là c’est un peu beaucoup la projection d’une jeunesse contemporaine déboussolée mais qui peut ruer dans les brancards. Abattue mais ulcérée. Mélancolique mais exaspéré. Si « Bébé Colère » ressent que l’espoir lui est interdit, cela n’induit pas cependant de sa part du renoncement.
Les images des cinéastes ont une trépidence en concordance avec le vécu de leur personnage qui parle haut et fort et qui ne mâche jamais ses mots.
Dans le cirque où on l’a propulsée tout est-il vraiment joué d’avance ? Dans ce match de la vie d’où l’innocence est bannie y-a-t-il des réponses ? Où les chercher ? Peut-être soufflées dans le vent, «blowing in the wind», a dit cet autre, le poète…
A l’origine de ce « Bébé Colère »
L’envie de Caroline Poggi et de Jonathan Vinel de tourner léger. Sans la lourdeur d’une équipe. Juste avec une petite caméra.
Le besoin de filmer, de mettre en scène un modèle de bébé en 3 D trouvé sur le net. L’urgence de régler des comptes avec une époque peu … amène ! Pourquoi le choix d’une bébé-fille ? Pour la simple raison que l’habitude – la routine mentale – veut que la violence soit plus acceptable, plus normale chez un garçon et à l’inverse plus choquante chez une fille.
Loin de tout conformisme béat, le duo formé à l’écran et à la vie par l’Ajaccienne et le Toulousain est novateur. Il le prouve une nouvelle fois avec ce court-métrage qui suit son premier long, « Jessica Forever ».
« Le monde je le questionne. Mais ce n’est pas le réel et le temporel qui m’intéressent. »
Caroline Poggi
Votre désir de cinéma comment est-il venu ?
Disons que c’est en regardant des films que j’en ai eu envie, et ça continue depuis dix ans ! Bien sûr il y a eu des rencontres qui m’ont fait comprendre la réalisation, l’esthétique, le concret qui est celui du cinéma et mettre les mains à la pâte ça me plaît. Après le bac je suis partie à Paris pour suivre un cursus. J’ai fait la connaissance de Jonathan qui entrait à la FEMIS. Très vite, ensemble, on a essayé de faire des films. Mon premier court-métrage a eu un prix dans un festival. C’était encourageant. On a continué sur la lancée sans s’arrêter.
Déterminante la rencontre avec Jonathan Vinel ?
Même si on se laisse la liberté de réaliser chacun de son côté, travailler à deux voilà qui est déterminant. Car c’est une force énorme tant c’est dur le cinéma ! Car on doit se battre contre tout le monde ! Je ne pense pas que seule je serai aussi vaillante. On est vraiment un duo de force… En permanence on débat. On est un couple à la vie mais le cinéma c’est 95 % de notre temps. On n’a pas d’horaires. On est sans cesse sur la brèche parce que pour vivre de notre passion il faut engranger constamment des projets.
Comment s’effectue le partage de vos tâches… cinématographiques ?
Tout dépend du projet en cours. En fait on n’est pas toujours ensemble au même endroit. Si on tourne, si on monte à deux, les idées on les creuse chacun de notre côté. Pareil pour l’écriture des dialogues. Entre nous c’est un truc de va-et-vient. Au plan technique on est polyvalents, même si Jonathan a été formé comme monteur… Polyvalence, en gros, dans le travail en commun. Complémentarité pour ce qui est du tempérament.
Votre cinéma croise les genres. Quelle définition en donnez-vous ?
On est les premiers à se poser la question ! En tous cas on ne veut pas être enfermés dans une case. On a dit que nos films étaient « atmosphériques » … Ce que je sais c’est qu’ils ne sont pas classiques. La narration, chez nous, il faut la trouver dans les temps morts, dans les interstices. Je raconte le monde en me mettant… à côté !... Le monde je le questionne, mais ce n’est pas le réel et le temporel qui m’intéressent. Mes histoires traversent le temps. Elles sont une histoire et simultanément beaucoup d’autres.
Votre univers est-il toujours sombre ?
Il est sombre. Il est violence. Il est colère. Car tel est le monde qui nous est donné à voir. Je serai, par exemple, incapable d’écrire une comédie. Nos films sont contaminés par des virus, par la pourriture, par quelque chose de sale… Et malgré tout il y a beaucoup d’amour.
Grandir dans le monde actuel peut-il susciter autre chose que de la peur ? Peut-on s’épargner la colère ?
Certains y arrivent… Moi, je suis catastrophiste. Le futur ne m’enthousiasme guère. Bien sûr il peut y avoir des moments plus vivables mais on est dans une société où l’on n’a pas la main, où on est archi-contaminés par ce qui nous entoure. J’ai peur, oui, mais pas tant pour moi que pour les autres. J’ai eu la chance, moi, de vivre dans un milieu sécurisé.
« Bébé Colère » est-ce une alerte sur les risques de la parentalité ?
On est toute une génération à s’interroger sur le fait d’être parents, sur ce qu’est avoir un enfant. On a besoin de ce questionnement, c’est ce qu’exprime « Bébé Colère », sur notre ton à nous.
Cette colère si naturelle qui éclate et qui claque dans un tumulte, comment la dépasser ?
Il n’y a pas qu’une réponse… Il y a deux ans lorsqu’on réalisait notre premier long-métrage, « Jessica Forever » j’aurais pu dire : « Recréer l’amour du collectif ». Maintenant je n’en suis
plus aussi certaine. Personnellement ce qui me rend la vie supportable c’est d’être entourée. C’est de ne pas être seule. C’est de faire ce que j’aime. Réaliser des films m’aide à être plus stable. A agir. A me poser des questions. Sans le cinéma je serais abattue… ou aveugle… ou claquemurée dans un blockhaus. Faire un film c’est ma manière d’être présente au monde, de le regarder, de ne pas l’ignorer pour m’en préserver. Ecrire un film c’est partager une pensée.
« Bébé Colère » est produit par « La Fondation Prada ». Comment cela s’est-il passé ?
« La Fondation Prada » à l’instar de « La Fondation Cartier » s’intéresse à l’art contemporain et dispose d’un immense espace dédié à Milan. Elle nous a demandé d’y présenter « Jessica Forever ». Par la suite elle nous a proposé de participer avec des autres artistes et un économiste à huit essais visuels inspirés de « La jetée » de Chris Marker en ayant une vision des problèmes de notre époque.
Long ou court-métrages quels sont vos projets ?
On est à un stade d’écriture d’un long et d’un court-métrage. On est donc en phase de développement. On retrouvera des personnages face à la violence (comment y échapper ?). Mais il y aura sans doute plus de réalisme dans notre traitement cinématographique. Par ailleurs on souhaite que « Bébé Colère » soit diffusé sur grand écran. Dans l’immédiat pour janvier on s’apprête à donner des cours à l’HEAD, école de cinéma de Genève. Ce sera une occasion aussi de projeter au public nos précédentes réalisations.
Propos recueillis par M.A-P
Bébé Noël et « Bébé Colère »
Pourquoi ne pas inviter à la fête de Noël «Bébé Colère» de Caroline Poggi et Jonathan Vinel ? «Bébé Colère», dernier court-métrage de ce duo de cinéma déjà reconnu par le public et la critique.
Déjà récompensé d’un Ours d’Or à Berlin. Pas ordinaire ce « Bébé Colère »!
Et pourtant n’est-il pas un enfant de notre temps ?
Petit nœud rose dans des cheveux blonds et bouclés. Tee-shirt bleu. Culotte blanche. Yeux immenses et interrogateurs. Il, enfin elle, puisque c’est une fille, est craquante. Attendrissante. Mignonne. Elle nous vient tout droit de la 3D mais pour la poupée-poupine on repassera ! Elle n’a pas de prénom. Pas de parents. Ne ressemble à personne. Elle est rage. Furie. Tempête. Ce monde dans lequel on l’a catapultée, dégueulasse à souhait, elle le refuse. Elle se sent coupable d’exister. Veut mourir mais c’est son amie l’étoile qui est brisée et meurt.
La colère c’est sa survie ? Peut-être…
«Bébé Colère» est malheureuse. «Le spleen frappe à sa porte». La vue d’un bout de lotissement banlieusard avec son béton n’arrange rien. Même un beau coucher de soleil est illusoire et s’apparente plus à un chromo de pacotille qu’à un panorama réconfortant, apaisant. «Bébé Colère» a-t-il une consolation ?
Oui, mais elle est fugace car elle ne dure que l’espace d’une bouchée de « brookie », gâteau mélange de brownie et de cookie. Ce bébé-là c’est un peu beaucoup la projection d’une jeunesse contemporaine déboussolée mais qui peut ruer dans les brancards. Abattue mais ulcérée. Mélancolique mais exaspéré. Si « Bébé Colère » ressent que l’espoir lui est interdit, cela n’induit pas cependant de sa part du renoncement.
Les images des cinéastes ont une trépidence en concordance avec le vécu de leur personnage qui parle haut et fort et qui ne mâche jamais ses mots.
Dans le cirque où on l’a propulsée tout est-il vraiment joué d’avance ? Dans ce match de la vie d’où l’innocence est bannie y-a-t-il des réponses ? Où les chercher ? Peut-être soufflées dans le vent, «blowing in the wind», a dit cet autre, le poète…
A l’origine de ce « Bébé Colère »
L’envie de Caroline Poggi et de Jonathan Vinel de tourner léger. Sans la lourdeur d’une équipe. Juste avec une petite caméra.
Le besoin de filmer, de mettre en scène un modèle de bébé en 3 D trouvé sur le net. L’urgence de régler des comptes avec une époque peu … amène ! Pourquoi le choix d’une bébé-fille ? Pour la simple raison que l’habitude – la routine mentale – veut que la violence soit plus acceptable, plus normale chez un garçon et à l’inverse plus choquante chez une fille.
Loin de tout conformisme béat, le duo formé à l’écran et à la vie par l’Ajaccienne et le Toulousain est novateur. Il le prouve une nouvelle fois avec ce court-métrage qui suit son premier long, « Jessica Forever ».
- · A voir sur le site internet de la Fondation Prada.
- · Filmographie du duo : « Tant qu’il nous reste des fusils à pompes » (2014). « Notre amour est assez puissant » (2014). «Notre héritage » (2015). « After school knife fight » (2017). « Jessica Forever » (2018).
« Le monde je le questionne. Mais ce n’est pas le réel et le temporel qui m’intéressent. »
Caroline Poggi
Votre désir de cinéma comment est-il venu ?
Disons que c’est en regardant des films que j’en ai eu envie, et ça continue depuis dix ans ! Bien sûr il y a eu des rencontres qui m’ont fait comprendre la réalisation, l’esthétique, le concret qui est celui du cinéma et mettre les mains à la pâte ça me plaît. Après le bac je suis partie à Paris pour suivre un cursus. J’ai fait la connaissance de Jonathan qui entrait à la FEMIS. Très vite, ensemble, on a essayé de faire des films. Mon premier court-métrage a eu un prix dans un festival. C’était encourageant. On a continué sur la lancée sans s’arrêter.
Déterminante la rencontre avec Jonathan Vinel ?
Même si on se laisse la liberté de réaliser chacun de son côté, travailler à deux voilà qui est déterminant. Car c’est une force énorme tant c’est dur le cinéma ! Car on doit se battre contre tout le monde ! Je ne pense pas que seule je serai aussi vaillante. On est vraiment un duo de force… En permanence on débat. On est un couple à la vie mais le cinéma c’est 95 % de notre temps. On n’a pas d’horaires. On est sans cesse sur la brèche parce que pour vivre de notre passion il faut engranger constamment des projets.
Comment s’effectue le partage de vos tâches… cinématographiques ?
Tout dépend du projet en cours. En fait on n’est pas toujours ensemble au même endroit. Si on tourne, si on monte à deux, les idées on les creuse chacun de notre côté. Pareil pour l’écriture des dialogues. Entre nous c’est un truc de va-et-vient. Au plan technique on est polyvalents, même si Jonathan a été formé comme monteur… Polyvalence, en gros, dans le travail en commun. Complémentarité pour ce qui est du tempérament.
Votre cinéma croise les genres. Quelle définition en donnez-vous ?
On est les premiers à se poser la question ! En tous cas on ne veut pas être enfermés dans une case. On a dit que nos films étaient « atmosphériques » … Ce que je sais c’est qu’ils ne sont pas classiques. La narration, chez nous, il faut la trouver dans les temps morts, dans les interstices. Je raconte le monde en me mettant… à côté !... Le monde je le questionne, mais ce n’est pas le réel et le temporel qui m’intéressent. Mes histoires traversent le temps. Elles sont une histoire et simultanément beaucoup d’autres.
Votre univers est-il toujours sombre ?
Il est sombre. Il est violence. Il est colère. Car tel est le monde qui nous est donné à voir. Je serai, par exemple, incapable d’écrire une comédie. Nos films sont contaminés par des virus, par la pourriture, par quelque chose de sale… Et malgré tout il y a beaucoup d’amour.
Grandir dans le monde actuel peut-il susciter autre chose que de la peur ? Peut-on s’épargner la colère ?
Certains y arrivent… Moi, je suis catastrophiste. Le futur ne m’enthousiasme guère. Bien sûr il peut y avoir des moments plus vivables mais on est dans une société où l’on n’a pas la main, où on est archi-contaminés par ce qui nous entoure. J’ai peur, oui, mais pas tant pour moi que pour les autres. J’ai eu la chance, moi, de vivre dans un milieu sécurisé.
« Bébé Colère » est-ce une alerte sur les risques de la parentalité ?
On est toute une génération à s’interroger sur le fait d’être parents, sur ce qu’est avoir un enfant. On a besoin de ce questionnement, c’est ce qu’exprime « Bébé Colère », sur notre ton à nous.
Cette colère si naturelle qui éclate et qui claque dans un tumulte, comment la dépasser ?
Il n’y a pas qu’une réponse… Il y a deux ans lorsqu’on réalisait notre premier long-métrage, « Jessica Forever » j’aurais pu dire : « Recréer l’amour du collectif ». Maintenant je n’en suis
plus aussi certaine. Personnellement ce qui me rend la vie supportable c’est d’être entourée. C’est de ne pas être seule. C’est de faire ce que j’aime. Réaliser des films m’aide à être plus stable. A agir. A me poser des questions. Sans le cinéma je serais abattue… ou aveugle… ou claquemurée dans un blockhaus. Faire un film c’est ma manière d’être présente au monde, de le regarder, de ne pas l’ignorer pour m’en préserver. Ecrire un film c’est partager une pensée.
« Bébé Colère » est produit par « La Fondation Prada ». Comment cela s’est-il passé ?
« La Fondation Prada » à l’instar de « La Fondation Cartier » s’intéresse à l’art contemporain et dispose d’un immense espace dédié à Milan. Elle nous a demandé d’y présenter « Jessica Forever ». Par la suite elle nous a proposé de participer avec des autres artistes et un économiste à huit essais visuels inspirés de « La jetée » de Chris Marker en ayant une vision des problèmes de notre époque.
Long ou court-métrages quels sont vos projets ?
On est à un stade d’écriture d’un long et d’un court-métrage. On est donc en phase de développement. On retrouvera des personnages face à la violence (comment y échapper ?). Mais il y aura sans doute plus de réalisme dans notre traitement cinématographique. Par ailleurs on souhaite que « Bébé Colère » soit diffusé sur grand écran. Dans l’immédiat pour janvier on s’apprête à donner des cours à l’HEAD, école de cinéma de Genève. Ce sera une occasion aussi de projeter au public nos précédentes réalisations.
Propos recueillis par M.A-P