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La République abimée : dix affaires qui ont ébranlé la France de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria

Quel rapport voyez-vous entre l’enlèvement, en octobre 1965, de Medhi Ben Barka, leader de l’opposition marocaine et la lourde condamnation, en juin 2020, des époux François et Pénélope Fillon pour détournement de fonds, en passant par le cadeau ...
Patrice Duhamel et Jacques Santamaria
La République abimée : dix affaires qui ont ébranlé la France (Editions Pocket)

Quel rapport voyez-vous entre l’enlèvement, en octobre 1965, de Medhi Ben Barka, leader de l’opposition marocaine et la lourde condamnation, en juin 2020, des époux François et Pénélope Fillon pour détournement de fonds, en passant par le cadeau empoisonné des diamants offerts au Président Giscard d’Estaing par l’empereur centrafricain Bokassa ?
Très différentes, ces trois affaires ont cependant un dénominateur commun : le pouvoir et l’argent.
Parmi toutes ces affaires dix ont retenu l’attention du journaliste Patrice Duhamel et du cinéaste Jacques Santamaria.
Dans leur dernier ouvrage intitulé La République abimée, dix affaires qui ont ébranlé la France, ils livrent le fruit de leur enquête. Un travail rigoureux, précis, passionnant !



Dans votre ouvrage paru récemment aux éditions Pocket « La République abimée » que vous co-signez avec Patrice Duhamel, vous évoquez dix affaires ou scandales qui ont fait vaciller l’Etat de 1965 à nos jours. Le premier de ces scandales, qui retient votre attention, est l’affaire Ben Barka, le principal opposant au souverain marocain Hassan II. Ce scandale, affirmez-vous, a été une tentative de déstabilisation visant le Général de Gaulle. Quels en étaient, selon vous, les commanditaires, quelles étaient leurs motivations ?

L'enlèvement de Ben Barka en plein Paris par des policiers français obéissant aux ordres d'officines barbouzardes a eu lieu cinq semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle de 1965, et cinq jours avant que le général de Gaulle annonce sa candidature. Difficile de croire à un simple hasard du calendrier! Ce qu'il y a de particulier dans l'affaire Ben Barka, c'est ce complot à étages monté par un homme intelligent et ambitieux, le colonel Oufkir, ministre de l'Intérieur du Maroc.
En commanditant l'élimination d'un opposant au régime du Maroc en territoire français grâce à une nébuleuse d'affidés de tous horizons, il visait, à terme, la prise du pouvoir à Rabat avec le renversement d'Hassan II. Mais il y avait aussi, même s'il n'est pas prouvé que c'était sa volonté personnelle, la déstabilisation voire la chute de De Gaulle.
Rappelons combien la politique du Général gênait les Américains à cette époque, et souvenons-nous que la France quittera l'OTAN quelques mois plus tard. D'autres avaient d'autres intérêts à en finir avec de Gaulle : les éléments venus de l'OAS qui existaient alors dans la police et le renseignement français, lesquels ont joué un rôle de premier plan dans cette affaire.


Parmi ces dix affaires que vous décortiquez avec minutie, quelle est celle qui vous a le plus marqué ?

Il y a une affaire qui m'a particulièrement intéressé parce qu'elle ne repose que sur l'humain. C'est le suicide de François de Grossouvre à l'Elysée en 1994.
Ce proche conseiller de François Mitterrand n'a pas accepté la disgrâce dans laquelle il était tombé à la suite d'affaires financières qu'il aurait menées plus ou moins légalement. En se donnant la mort à l'Elysée, il savait qu'il déclencherait sinon une affaire du moins un scandale d'Etat.
Nous sommes là dans un huis-clos, une tragédie intime qui se joue à quelques personnes, dont le président de la République, que Grossouvre veut accuser par son geste fatal.

Le Journal de la Corse : Certaines de ces affaires qui ont fait « la une » sous la Vème République n’ont pas encore livré tous leurs secrets telle l’affaire Boulin, le ministre du Travail du gouvernement Raymond barre qui aurait mis fins à ses jours le 29 octobre 1979. Une thèse remise en cause cette année.
La mort de Robert Boulin reste une des plus mystérieuses de la Vème République, écrivez-vous, pour quelles raisons ?


Il faut rappeler que l'affaire Boulin, qui s'est déroulée en 1979, fait l'objet, aujourd'hui encore, d'un traitement par la justice. Deux juges ont été nommés en 2015 pour travailler à nouveau sur ce dossier, et tout dernièrement, en novembre 2020, on a appris que le collège d'experts médicaux nommé par ces juges avait établi que les constatations initiales étaient insuffisantes pour conclure, comme cela avait été fait, à une mort par noyade.
Il semblerait donc que la thèse du suicide, à laquelle certains s'accrochent toujours, soit de plus en plus contestée. Cela dit, l'affaire dure depuis maintenant quarante ans, et ceux qui pouvaient savoir quelque chose ont pour la plupart disparu. Quels secrets cache la mort de Robert Boulin? Le saura-t-on jamais ?


Venons-en à l’affaire Fillon. Jamais sous la Vème République une affaire politico financière n’avait provoqué de tels dégâts électoraux, entrainant, pour la première fois, constatez-vous, l’élimination de la droite au deuxième tour de l’élection présidentielle. Rappelons que l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, qui était le grand favori de la droite et du centre à ses élections d’avril 2017, a été lourdement condamné, en premières instances, avec son épouse Pénélope, pour détournement de fonds et abus de biens sociaux.
Peut-on considérer le feuilleton médiatico-politique, soulevé par cette affaire, comme définitivement clos alors que certains remettent en cause l’indépendance de la justice ?


L'affaire Fillon se caractérise par un phénomène assez nouveau dans le fonctionnement de la justice. C'est la célérité avec laquelle le Parquet s'est saisi du cas de François Fillon, à un moment là encore tout sauf anodin : la confirmation que François Fillon serait le candidat de la droite le mieux placé pour remporter l'élection présidentielle de 2017.
Sans revenir sur ce que Fillon a pu commettre de répréhensible, ni sur les règlements de compte à l'intérieur de sa famille politique, on peut effectivement s'interroger sur l'origine de cette rapidité d'intervention de la justice.

Autre affaire, plus sordide, visant l’ancien maire de Toulouse, Dominique Baudis.
Ce dernier, au printemps 2003, est accusé d’avoir participé à des soirées sado masochistes avec viols et tortures. Cette accusation a déclenché une campagne de diffamation relayée par certains médias au mépris de toute règle déontologique et de toute éthique. A la lumière de cette affaire odieuse dont Dominique Baudis a été totalement innocenté, peut-on dire que l’on a tiré, aujourd’hui, tous les enseignements de ce désastre judiciaire et médiatique ?


Dominique Baudis, homme d'une droiture exemplaire, d'une probité sans faille, a été la victime de ce qui est, à nos yeux, la plus immonde machination qu'on ait connue depuis les débuts de la Ve République pour abattre moralement un homme.
Ce qui caractérise cette affaire ignoble, c'est effectivement, au mépris de toute déontologie, le rôle de procureur de l'ombre qu'ont joué certains médias, et parmi eux certains qui ne manquent jamais une occasion de donner des leçons de morale. Dominique Baudis n'est plus de ce monde, et on ne m'empêchera pas de penser que la maladie qui l'a emporté trouve son origine dans cette affaire qui l'a détruit.
Le choc aura- t-il été suffisant pour que semblable chose ne se reproduise pas? La nature humaine est ce qu'elle est. Ne rêvons pas.


Vous soulignez, à quel point, toutes ces affaires entament profondément la confiance des Français vis-à-vis de la politique et surtout de ceux qui nous gouvernent. « Tous pourris » c’est le slogan des extrémistes bien décidés de tourner cet état de fait à leur avantage face à des électeurs déboussolés. Un vrai poison pour notre démocratie à l’heure où écrivez-vous les réseaux sociaux accusent et diffament jusqu’au délire mais que faire ?

Jacques Santamaria : A la fin du livre, nous notons en conclusion que toutes les affaires dont nous parlons – sauf l'affaire Fillon – ont eu lieu à une époque où n'existait pas la dictature des réseaux sociaux et où la technologie n'avait pas été détournée à des fins criminelles. Ce qu'on appelle « affaires » existera toujours, mais celles-ci seront conduites par d'autres moyens, lesquels permettront, permettent déjà, des actions de destruction d'une autre ampleur, à l'échelle des états et des continents. Nous disons que le cybercrime ne voit pas petit et posons la question de savoir comment les démocraties sauront résister.


· Entretien réalisé par Jean-Claude de Thandt
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