Gilles Simeoni, Président de l'exécutif de Corse
"Le mouvement nationaliste a eu sans doute tendance à délaisser quelque peu les luttes de terrain alors qu'il s'y était historiquement forgé"
« Le mouvement nationaliste a eu sans doute tendance à délaisser quelque peu les luttes de terrain alors qu’il s’y était historiquement forgé »
Le Président de l’Exécutif a été, ces dernières semaines, la cible de diverses attaques.
Position durcie par l’État tensions au sein de la majorité territoriale, montée au créneau au sein de l’hémicycle.
C’est justement au sortir de la première session de l’année, que Gilles Simeoni fait le point sur la situation...
Les rapports avec Paris sont de plus en plus tendus. Quelle va être l’attitude à adopter par la majorité territoriale ?
Nous allons continuer à être strictement dans le droit fil du contexte historique dans lequel nous nous situons. Nous comptons rester dans le respect du mandat qui nous a été donné par le suffrage universel et des engagements pris en 2015 et 2017. Enfin, nous avons le souci d’être le plus efficace possible dans un contexte particulièrement difficile caractérisé par une triple crise sans précédent : une crise sanitaire, économique et sociale mais aussi politique.
La volonté de dialogue persiste parce que nous avons besoin de parler avec l’État par rapport à la situation économique et sociale de l’île. Ce pour obtenir des mesures à la hauteur des difficultés qui sont existantes et qui risquent de s’aggraver dans les semaines à venir.
En même temps, nous voulons rappeler avec fermeté que l’on ne peut pas se satisfaire du déni de démocratie qu’on nous impose depuis 2017.
Des rapports également tendus avec le Préfet de Corse…
C’est surtout un problème d’attitude et de choix personnel de la part du représentant de l’État dans l’île.
Que ce soit dans le rapport qu’il a à la Collectivité de Corse et aux institutions, aux Corses et à leurs interlocuteurs...Et enfin la politique qu’il met en œuvre. Il a affirmé publiquement que dans le cadre du PTIC, par exemple «C’est l’État qui paye, donc c’est l’État qui décide à titre principal... ». Cette attitude revient à organiser une remise en cause des prérogatives et des compétences de la Collectivité de Corse. C’est une forme de de régression politique qui pour nous n’est pas acceptable...
Vous aviez évoqué un éventuel durcissement au-delà de la voie institutionnelle. Certains y voient un retour à la violence clandestine. Quelle est votre position sur ce point précis ?
Personne n’a pu entendre cela dans mes paroles ni à Paris ni en Corse ! J’ai démontré dans mes choix et mes actes depuis que je suis engagé dans la vie publique qu’il n’y pas d’autre chemin pour notre combat et pour la Corse que la démocratie, comme méthode et comme objectif.
Face au refus de Paris, notre réponse n’est, en aucun cas de cautionner un retour à la violence clandestine quelle qu’elle soit. J’ai simplement affirmé que face au déni de démocratie imposé par l’État, nous allons continuer sur la même voie avec une plus grande mobilisation. À côté des élus que nous sommes et des institutions que nous représentons, il y a aussi un peuple corse avec des syndicats des associations des acteurs culturels. Cette mobilisation prendra des formes démocratiques et citoyennes.
Pour autant, le nationalisme actuel n’est-il pas géré à la façon d’un parti politique. Ne manque-t-il pas finalement, d’une plus grande présence militante sur le terrain ?
Il y a eu, à la fois une évolution de la société, une évolution politique et de l’ensemble des mouvements. À travers l’action aux responsabilités et le recul général du militantisme dans la société occidentale, le mouvement nationaliste a eu sans doute tendance à délaisser quelque peu les luttes de terrain alors qu’il s’y était historiquement forgé.
Les mouvements autant que les militants ont donc vocation à réfléchir pour mettre en œuvre les modalités d’action, d’occupation du terrain qui soient bien sûr démocratiques mais qui, en même temps nous permettent d’investir ces espaces.
Quelle est la relation, aujourd’hui, entre les trois composantes de la majorité territoriale ? N’est-elle pas fragilisée par la situation ?
Il y a, tout d’abord, une exigence de responsabilités qui s’impose à nous tous.
Notre premier devoir, par rapport aux personnes qui nous ont élus, est d’exercer ces responsabilités avec le souci de l’intérêt général de la Corse et des Corses. Cet objectif est partagé par l’ensemble de la majorité territoriale.
À côté de cela, des difficultés sont, on le sait, apparues. Elles se sont cristallisées ces dernières semaines y compris à l’occasion de conférences de presse publiques où mon action, en tant que Président de l’Exécutif a été critiquée. Nous sommes en démocratie et cela doit être accepté. Il y aussi une exigence de loyauté et de cohérence qui doit être la règle de majorité. Si le désaccord est trop important, il faudra en tirer les conséquences. Nous sommes, actuellement, dans le temps de l’action, face à une crise politique, économique, sociale et sanitaire sans précédent et toutes nos forces et notre énergie doivent permettre d’y répondre de façon satisfaisante.
« Le peuple corse, ce n’est pas seulement les nationalistes et la nation corse ne va pas se construire seulement avec les nationalistes. »
L’union « Pè a Corsica »a-t-elle vécu ou serait-elle reconduite lors des prochaines territoriales ?
Les critiques émises publiquement par certaines composantes de la majorité devront être posées dans un débat interne où chacun donnera son point de vue sur la suite à donner…
Quelle est la position de la majorité territoriale face aux nationalistes isolés ou sans structure politique ?
Je pense qu’il est de notre responsabilité de nous adresser aux nationalistes qui sont en dehors de l’actuelle majorité et qui la critique même très vivement. Le dialogue est nécessaire, notamment avec « Core in Fronte ». Au-delà de cela, notre objectif à tous reste le même.
Il y a deux aspects qui me semblent indissociable : réussir à faire converger l’ensemble des forces issues du nationalisme qui se reconnaissent dans la démarche de construction nationale et s’adresser à tous les Corses y compris celles et ceux qui ne se revendiquent pas nationalistes et qui ont vocation à travailler avec nous pour construire la nation.
Le peuple corse, ce n’est pas seulement les nationalistes et la nation corse ne va pas se construire seulement avec les nationalistes. Il faut continuer à travailler dans cette double direction.
On évoque, d’un côté une communauté de destin mais une arrivée massive de non-corses chaque année (chiffre de l’INSEE), et de l’autre un « droit du sang » pouvant ouvrir à certaines dérives. Où situez-vous le juste milieu entre les deux ?
Nous sommes confrontés à une situation où n’avons la maîtrise d’aucun des éléments d’une intégration : aucune politique linguistique, culturelle, du logement ou de préservation de la terre. Cette carence accentue l’effet anxiogène d’une évolution démographique sans précédent. On est face à une croissance exponentielle de la population uniquement par solde migratoire. Nous n’avons quasiment plus de naissance en Corse et il arrive chaque année, des milliers de personnes qui n’ont aucune attache avec l’île.
Le problème se pose, il ne faut pas craindre de l’identifier et apporter des réponses. Elles sont dans la réaffirmation de nos principes fondamentaux, écartés de toute tentation de repli ou xénophobe et, en même temps dans les valeurs du peuple corse qui a toujours su fabriquer des Corses. Il faut aussi se donner les moyens de dépasser un discours déconnecté de la réalité si l’on ne fait pas le constat qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de produire ni de maîtriser les instruments d’une intégration forte qui est nécessaire. Elle passe par un renforcement d’une politique linguiste, culturelle, la maîtrise du foncier ou la lutte contre la spéculation…
Derrière les fondamentaux que vous défendez, il y a aussi un quotidien à assumer : santé, social, logement, emploi, tourisme, déchets, environnement…
Notre capacité à apporter des réponses à ce qui a été la raison principale de notre engagement depuis des décennies, à savoir la conviction qu’il y a un peuple corse, qu’il a des droits et qu’il a vocation à les exercer, constitue un idéal. Mais cet idéal doit permettre, en même temps, d’apporter des réponses dans tous les domaines aux Corses. Il s’agit des besoins essentiels (logement, travail, santé, accès à la culture et aux loisirs) mais aussi des infrastructures, des déchets, de la protection des ressources ou de l’organisation de notre société...C’est ce projet global que nous avons vocation à décliner et à mettre en œuvre.
Vous aviez proposé un plan de relance économique. Où en est-il ? Nouveau veto de Paris ?
Nous avons une vision globale que nous ne réussissons pas à faire partager par l’État. La situation de la Corse était déjà difficile avant le Covid avec, je le rappelle, le taux de pauvreté le plus important de France, un taux de chômage parmi les plus hauts, des PE-PME, artisans ultra majoritaires dans l’île et structurellement fragilisés. Tout cela a été accentué par la crise sanitaire. À cela s’ajoute un secteur touristique en difficulté. Aujourd’hui, il faut une réponse à la hauteur des enjeux et cela passe par des mesures d’urgence.
Nous avons mis en œuvre le volet Salvezza, voté à l’unanimité à l’Assemblée de Corse, avec un montant de cent millions d’euros. Nous avons demandé à l’État de faire un effort proportionnel à ce qu’il a fait ailleurs mais nous n’arrivons pas à l’obtenir. Au-delà de l’urgence, il faudra, à terme, une vision stratégique de la relance et savoir quel modèle économique et social nous voulons construire pour préparer la Corse dans la perspective de relever les défis du XXIe.
Interview réalisée par Philippe Peraut