« Mediterraneo » à l’honneur
Riace ou le contre-exemple parfait d’une politique d’immigration inventive fondée non sur le rejet de l’autre mais sur l’insertion. Dans ce village de moins de 2000 habitants, situé sur la côte ionienne, en bas d la botte italienne, Dumenico Lucano, le maire d’alors, avait lancé un projet ambitieux : « Città futura ». Objectif ? Réinsuffler de la vie dans un endroit déserté par sa population depuis des décennies car partie au Piémont ou en Argentine.
Un désert, Riace. Le maire voulait la réouverture des ateliers, de commerces, de l’école et le démarrage d’une expérience de tourisme solidaire. Opération réussie… un moment, puis haineusement contrecarrée par La Ligue et par le ‘Ndrangeta. Interpellation de l’édile, ensuite assigné à résidence à 12 km de chez lui. Interdiction faite à sa femme de quitter Riace. Une décision politico-administrative, révoquée d’ailleurs par jugement un an plus tard… Le temps de faire élire un successeur plus docile que Lucano et soutenu bien sûr par le parti de Matteo Salvini.
Griefs à l’encontre de Dumenico Lucano ? Avoir cautionné des mariages dits blancs et ne pas avoir respecté les modalités d’un marché public concernant les ordures. De la part des hommes de la mafia calabraise cela à la saveur de la strychnine ! Reproches plutôt fallacieux, donc. En fait, n’était pas pardonné à Domenico Lucano son accueil réservé aux migrants. Pourtant son attitude n’avait rien de bien nouveau puisque le village avait ouvert ses portes, depuis 1998, à des réfugiés kurdes, afghans, érythréens, somaliens.
L’arrivée au pouvoir de la Ligue et de 5 Etoiles stoppa net les aides publiques en faveur de l’hébergement et de la formation des migrants. Résultat ? Ils partirent. Riace se rendormit d’un sommeil profond. Et les panneaux de maisons à vendre recommencèrent à foisonner. Que peut-il advenir de cette expérience aujourd’hui que la gouvernance à Rome a changé ? Trop tôt pour le prédire alors que l’Italie est sous le choc du Covid 19.
Le reportage de Yannick Aroussi donne la parole à ceux qui ont été solidaires de l’aventure généreuse de Lucano. Voilà, l’occasion de portraits touchants et de propos à méditer.
« Accompagner l’évolution du monde méditerranéen, c’est notre ADN ».
Thierry Pardi, rédacteur-en-chef de « Mediterraneo » Via Stella.
Comment est né « Mediterraneo » ? La vie du magazine a-t-elle été un long fleuve tranquille ?
« Mediterranéo » est le plus ancien des magazines de France 3 Corse puisqu’il a une bonne vingtaine d’années. On le doit à Sampiero Sanguinetti, directeur des programmes de France 3 Corse basé à Marseille. C’est lui qui a établi les premiers contacts avec la RAI et d’autres TV (Algérie, Malte) ont suivi. Il y a cinq ans la RAI a cessé sa collaboration. Sous l’impulsion de Philippe Martinetti un nouvel accord a été signé avec la télévision publique italienne il y a deux ans. Pour notre part nous n’avons jamais arrêté la production et la diffusion du magazine.
Pour quelles raisons certaines TV publiques ne sont-elles plus parties prenantes de ce programme ?
Avec la crise économique la télévision grecque n’a plus eu de moyens, mais nous avons conservé des liens avec elle. Si l’Algérie est partie c’est parce qu’il y a eu une vague de changement à sa direction…
Le prix remporté par « Ombre et Lumière » a été décerné par la COPEAM (Conférence Permanente de l’Audiovisuel en Méditerranée). Quel est le rôle de cet organisme ?
« Ombre et Lumière » de Yannick Aroussi a reçu le prix des échanges de reportages internationaux. La COPEAM a son siège à Rome. C’est une association qui regroupe toutes les TV publiques méditerranéennes. Elle fonctionne comme un think thank, outre des prix elle organise des rencontres, des ateliers, des sessions pour les journalistes. Elle réunit ses membres chaque année dans un pays différent.
Réalisez-vous des coproductions avec toutes les TV de la COPEAM ?
Je vais citer l’exemple d’« Inter-Rives » qui associe une dizaine de TV méditerranéennes et dont les thématiques sont fixées tous les deux ans. Parmi celles-ci : les ports de la Méditerranée. C’est ainsi qu’a été tournée un reportage de Michèle Don Ignazi et de Stéphane Gallais sur le port de Bastia.
Les différentes langues des reportages sont-elles un problème ?
On s’occupe des doublages et des sous-titrages en interne avec nos traducteurs d’Ajaccio ou de Marseille. L’utilisation de différentes langues par les reporteurs ne sont donc pas un frein.
Comment est organisé le magazine ?
Chaque semaine il dure 26 minutes. Chaque sujet a de 7 à 13 minutes. Côté France 3 il y a une équipe à Ajaccio et une à Marseille, l’une de Via Stella, l’autre de France 3 PACA. A Ajaccio nous employons deux journalistes à plein temps. A Marseille il y en a un. Les apports de la RAI sont réalisés à partir de Palerme. Lors de chacune de nos éditions il y a un sujet de la télévision publique italienne et celle-ci diffuse un de nos reportages. « Mediterraneo » ne dépend pas du JT mais de l’Antenne (programmes). Notre rôle n’est pas de nous occuper des news mais d’être connecté à l’actualité du moment.
Quels sont vos sujets prioritaires ?
On fait un point mensuel pour déterminer pays, angles, thématiques à traiter. Je valide également, si tel est le cas, des propositions faites en externe. Nous sommes très ouverts quant au choix des sujets à aborder. Yannick Aroussi de France 3 PACA suit plus particulièrement Moyen et Proche-Orient. François Tortos est plutôt compétent pour l’arc latin méditerranéen. Nous mettons volontiers l’accent sur les îles ce qui est logique de la part de Corses et de Siciliens.
Qu’est-ce qui a retenu votre attention dans la dernière période ?
On a traité des questions de migrations, des soulèvements populaires en Algérie, Tunisie, Egypte, Libye. On a aussi développé les problématiques environnementales : gestion de l’eau, énergies renouvelables, sans oublier la culture, le patrimoine, l’histoire.
A votre avis qu’est-ce qui fidélise le public de Mediterraneo ?
Le fait de proposer des reportages, de mettre en valeur l’image, de s’attacher au ressenti des gens qu’on filme et de leur accorder une vraie écoute. Notre but est d’apporter le reflet le plus large possible de ce qui se passe en Méditerranée.
Assez sombres vos sujets ?
On est éclectique ! En évoquant les œuvres d’artistes qu’ils soient peintre s ou musiciens je ne pense pas qu’on soit obligatoirement sombre… Ce qu’on veut c’est ne pas éluder les questions. Récemment nous avons été en Toscane pour parler du traitement des déchets. Notre propos est parfois difficile, mais on ne se dérobe pas comme le prouve nos reportages en Palestine.
Personnellement les sujets qui vous ont marqué récemment ?
Ceux sur les camps de réfugiés au Liban, en Turquie, sur le travail des ONG qui sauvent des migrants en Méditerranée.
Des reportages plus joyeux ?
Ce sont fréquemment des portraits d’artistes tel « Picasso et la Côte d’Azur », ceux montrant des panoramas et des lacs de la montagne corse, ceux qui sont des récits de mémoire ainsi ces témoignages rapportés des îles grecques.
Que signifie la récompense obtenue par « Lumière et Ombre » ?
Elle couronne le travail d’une équipe : journaliste, caméraman, monteur, mixeur… C’est également une satisfaction pour l’Antenne de Via Stella. C’est un encouragement … En l’occurrence nous retournerons à Riace pour témoigner de ce qui est arrivé après les changements politiques intervenus à Rome.
Des projets ?
Reprendre les tournages interrompus par la pandémie. Cerner les répercussions du Covid 19 sur les pays du pourtour de la Méditerranée qui est en pleines mutations. Accompagner l’évolution du monde méditerranéen, c’est notre ADN.