Théatre : "Antigonick" par le groupe Divirsioni
" Antigonick " , de l 'auteure canadienne, Anne Carson. Pièce jouée par le Groupe Divirsioni.....
« Antigonick » par le Groupe Divirsioni
« Antigonick », de l’auteure canadienne, Anne Carson. Pièce jouée par le Groupe Divirsioni que dirige Catherine Graziani du Théâtre Alibi. Trois représentations données exclusivement pour les « pros » du spectacle et de la culture… Mieux que rien ! Dommage tout de même car cette « Antigonick » mérite une bien plus large audience.
Pourquoi Antigone est-elle, sans aucun doute, la figure la plus marquante, la plus forte, la plus pérenne que nous a légué l’Antiquité grecque et le théâtre tragique ?
Parce qu’elle est rebellion contre le pouvoir en place quand sa loi aveugle et écrase. Parce qu’elle est cri, douleur, deuil. Sœur éplorée à qui on interdit d’enterrer un frère chéri au prétexte qu’il aurait pris les armes pour manifester son désaccord politique. Antigone habite hier. Demain.
Aujourd’hui surtout, tant face à des dictatures et des démocratures il ne peut rester que la révolte. « Antigonick » s’inscrit dans la lignée des Antigone qui l’ont précédée. Pour sa mise en scène Catherine Graziani a choisi le dépouillement et l’intemporalité, façon paradoxale, d’ancrer le personnage au présent. Un présent en mouvement grâce à la danse, à cette scansion chorégraphique qui anime les acteurs, qui en alternance vont se fondre dans le chœur. Le « un » et le pluriel. L’individu et la communauté. Et le geste peut aussi se faire parole.
De notre temps cette Antigone-là, qui est simultanément de « son » temps à elle. En tous cas jamais hors temps. Est-ce la raison pour laquelle l’auteure a inventé le personnage, ou plutôt la silhouette prégnante, presqu’évidente de Nick, diminutif fusionné au nom d’Antigone ? Ce Nick, sans cesse à mesurer à l’aide de sa baguette en fond de scène, évoque étrangement quelqu’auxiliaire du dieu Horloger de Voltaire, à moins qu’il ne fasse référence à Anubis, qui dans la mythologie égyptienne, pesait le cœur des morts afin d’évaluer leur degré de valeur… Quoiqu’il en soit Nick ne quitte pas le plateau… muet…comme une tombe !
Antigone, une histoire de femme qui tient tête. Qui ne cède pas. Antigone, une histoire de famille dans laquelle l’horreur dictée par la fatalité semble toujours dévorer toute tendresse. Antigone c’est encore une histoire où l’équité tente de faire valoir son droit devant la justice qui applique mécaniquement ses lois sans tenir compte de la personnalité et des motivations profondes qui ont poussé un être à se rebeller.
Le spectacle comporte une riche partie musicale qui allie électronique et instruments traditionnels. Accordéon diatonique, auto-harpe, tambour, mandoline nous offrent, entre autres, un élégant tableau qu’on dirait issu de la Renaissance italienne. Les chants nous emportent plein sud, de la Méditerranée au Caucase, avec escales en Corse, en Grèce contemporaine, en Arménie.
« Antigonick », une très belle réalisation. A voir absolument, dès que les salles de théâtre seront à nouveau accessibles à tous !
•Michèle Acquaviva-Pache
Photos d’Elise Pinelli et de Jonathan Mari.
Distribution
Antigone : Mélanie Dall’Aglio. Ismène : Muriel Dubois.
Créon : Clément Carvin.
Le Garde, un du chœur, Nick : Lola Bergoin-Graziani.
Hémon et un du chœur : Caroline Pount. Tiresias, un du chœur, Nick : Candice Moracchini.
Le Messager, un du chœur, Nick : Philippe Descamps.
Eurydice et un du chœur : Santa Bacchini.
Un du chœur : Martine Beroud.
Un du chœur : Paule Combette.
Mise en scène : Cathreine Graziani.
Direction du chœur et arrangements : Celia Picciocchi.
Composition musicale électronique : Lola Bergouin-Graziani.
Lumière : Sylvaine Comsa.
Production : Théâtre Alibi. Bastia.
Qu’est-ce qui vous attire chez Anne Carson, l’auteure d’« Antigonick » ?
La manière dont elle a traduit et adapté l’Antigone de Sophocle. J’aime son écriture qui est neuve et qui correspond à la distribution d’acteurs, membres du Groupe Divirsioni. J’apprécie aussi beaucoup son art des anachronismes qui confère à l’œuvre un peu d’humour alors que la tonalité en est grave. Ainsi la tirade d’Antigone sur le conscient et l’inconscient… Anne Carson écrit en anglais. La traduction qu’a fait Edouard Louis de ce texte est, en outre, parfaite.
Avez-vous un attachement particulier pour la figure d’Antigone ?
Je suis attachée aux figures de femmes militantes. Jeunes. Fortes. Rebelles à l’ordre établi et qui vont au bout de leurs choix radicaux. C’est important à notre époque.
En quoi l’Antigone d’Anne Carson est-elle réactualisée par rapport à celles d’Anouilh, de Brecht, de George Eliot ou de Judith Butler ?
Si le personnage de Carson s’inscrit dans la filiation de celui de Sophocle, elle est réactualisée par l’écriture de la dramaturge canadienne et par son utilisation des anachronismes.
Le personnage de Nick dont le diminutif est fusionné au nom d’Antigone passe son temps à mesurer. Quelle est sa fonction exacte ?
Pour moi il mesure toutes choses : le bien / le mal. Le pour / le contre. Je l’ai vu sur scène dansant. Mon parti pris a été de le situer au fond du plateau. Nick est interprété par trois acteurs, par roulement ou ensemble, quand ils n’ont ni dialogues ni monologues à dire.
Nick ne prononce pas un mot. N’avez-vous pas eu la tentation de supprimer ce personnage ?
Impossible de faire l’impasse puisque son nom est accolé au titre de la pièce. L’auteure est d’ailleurs très laconique à son sujet ! Au départ Nick devait être joué par un acteur arborant le dossard « N ». Puis j’ai opté pour deux, et enfin pour trois. Résultat il y a toujours un Nick sur scène. Parfois deux. Parfois trois.
Votre mise en scène est intemporelle.
Pour quelles raisons ?
Parce que l’histoire l’est. Des femmes s’opposant au pouvoir au risque de la prison et de la mort il y en a toujours eu.
Quel est le rôle du chœur dont les membres sont interchangeables ? Est-il l’expression d’une permanence… ajustée de variables ?
Il a la même fonction que dans la tragédie antique. Le chœur est la base rythmique de la pièce. C’est l’aiguillon qui fait avancer l’histoire. Comme lorsqu’il pousse Créon dans ses retranchements afin de le confronter à son injustice. Toute l’action repose sur le chœur. Il est le meneur de jeu. Pour les acteurs du Groupe Divirsioni, qui, s’ils sont aguerris, ne sont pas encore des « pros », c’est intéressant de jouer un rôle puis de se fondre dans le chœur et inversement. Pareil quand il s’agit d’être tantôt comédiens tantôt danseurs ou chanteurs.
Quelle part assignez-vous à la danse dans « Antigonick » ?
J’aime le mouvement. Chaque personnage en entrant sur scène à sa signature chorégraphique. C’est là sa manière de se présenter au public sur des phrases du texte. Notre travail avec le Groupe a d’ailleurs commencé par ça ! Il fallait que ça vienne naturellement chez eux. La danse est partie intégrante de l’œuvre… La danse, c’est les mots du corps !
En quoi la musique et la danse nourrissent-elles l’histoire ?
C’est la première fois que Celia Picciocchi a en charge la musique et les chants d’un spectacle du Groupe Divirsioni. Avant de prendre des décisions on a d’abord lu le texte et c’est lui qui a inspiré nos choix musicaux en tenant compte du nombre et du potentiel des acteurs. Ensuite lors de week-ends on a travaillé la partie musicale en l’intégrant à la dramaturgie. On s’est refusé des paroles en anglais et en français, d’où du corse, du grec, de l’arménien. Difficulté ? Le Groupe est composé de dix membres dont la moitié n’avait jamais abordé le travail du chant, solo ou ensemble.
De quand date la constitution du Groupe Divirsioni ?
Il est né de l’Atelier Mouvement Musique, créé en 2014. Il est formé de huit femmes et deux hommes. Certains sont professionnels, d’autres en voie de professionnalisation. Il se renouvelle tous les deux ans en général.
Où en est la concrétisation de votre projet de « Tente vagabonde » ?
Elle est prête. Elle dispose de 49 places et doit nous permettre de retourner dans les villages et les collèges de l’intérieur. Elle est d’un emploi plus facile que notre ancien chapiteau. On la veut comme un lieu d’échanges, apte à recevoir des spectacles spécialement conçus pour elle. On n’attend plus que l’autorisation officielle pour l’inaugurer.
De nouvelles créations ?
Une pièce en podcast de Jean Luc Lagarce. Une autre pour « La Fabrique de Théâtre », en décembre, « La sœur de Jésus » d’Oscar De Summa.
•
Propos recueillis par M.A-P
« Antigonick », de l’auteure canadienne, Anne Carson. Pièce jouée par le Groupe Divirsioni que dirige Catherine Graziani du Théâtre Alibi. Trois représentations données exclusivement pour les « pros » du spectacle et de la culture… Mieux que rien ! Dommage tout de même car cette « Antigonick » mérite une bien plus large audience.
Pourquoi Antigone est-elle, sans aucun doute, la figure la plus marquante, la plus forte, la plus pérenne que nous a légué l’Antiquité grecque et le théâtre tragique ?
Parce qu’elle est rebellion contre le pouvoir en place quand sa loi aveugle et écrase. Parce qu’elle est cri, douleur, deuil. Sœur éplorée à qui on interdit d’enterrer un frère chéri au prétexte qu’il aurait pris les armes pour manifester son désaccord politique. Antigone habite hier. Demain.
Aujourd’hui surtout, tant face à des dictatures et des démocratures il ne peut rester que la révolte. « Antigonick » s’inscrit dans la lignée des Antigone qui l’ont précédée. Pour sa mise en scène Catherine Graziani a choisi le dépouillement et l’intemporalité, façon paradoxale, d’ancrer le personnage au présent. Un présent en mouvement grâce à la danse, à cette scansion chorégraphique qui anime les acteurs, qui en alternance vont se fondre dans le chœur. Le « un » et le pluriel. L’individu et la communauté. Et le geste peut aussi se faire parole.
De notre temps cette Antigone-là, qui est simultanément de « son » temps à elle. En tous cas jamais hors temps. Est-ce la raison pour laquelle l’auteure a inventé le personnage, ou plutôt la silhouette prégnante, presqu’évidente de Nick, diminutif fusionné au nom d’Antigone ? Ce Nick, sans cesse à mesurer à l’aide de sa baguette en fond de scène, évoque étrangement quelqu’auxiliaire du dieu Horloger de Voltaire, à moins qu’il ne fasse référence à Anubis, qui dans la mythologie égyptienne, pesait le cœur des morts afin d’évaluer leur degré de valeur… Quoiqu’il en soit Nick ne quitte pas le plateau… muet…comme une tombe !
Antigone, une histoire de femme qui tient tête. Qui ne cède pas. Antigone, une histoire de famille dans laquelle l’horreur dictée par la fatalité semble toujours dévorer toute tendresse. Antigone c’est encore une histoire où l’équité tente de faire valoir son droit devant la justice qui applique mécaniquement ses lois sans tenir compte de la personnalité et des motivations profondes qui ont poussé un être à se rebeller.
Le spectacle comporte une riche partie musicale qui allie électronique et instruments traditionnels. Accordéon diatonique, auto-harpe, tambour, mandoline nous offrent, entre autres, un élégant tableau qu’on dirait issu de la Renaissance italienne. Les chants nous emportent plein sud, de la Méditerranée au Caucase, avec escales en Corse, en Grèce contemporaine, en Arménie.
« Antigonick », une très belle réalisation. A voir absolument, dès que les salles de théâtre seront à nouveau accessibles à tous !
•Michèle Acquaviva-Pache
Photos d’Elise Pinelli et de Jonathan Mari.
Distribution
Antigone : Mélanie Dall’Aglio. Ismène : Muriel Dubois.
Créon : Clément Carvin.
Le Garde, un du chœur, Nick : Lola Bergoin-Graziani.
Hémon et un du chœur : Caroline Pount. Tiresias, un du chœur, Nick : Candice Moracchini.
Le Messager, un du chœur, Nick : Philippe Descamps.
Eurydice et un du chœur : Santa Bacchini.
Un du chœur : Martine Beroud.
Un du chœur : Paule Combette.
Mise en scène : Cathreine Graziani.
Direction du chœur et arrangements : Celia Picciocchi.
Composition musicale électronique : Lola Bergouin-Graziani.
Lumière : Sylvaine Comsa.
Production : Théâtre Alibi. Bastia.
Qu’est-ce qui vous attire chez Anne Carson, l’auteure d’« Antigonick » ?
La manière dont elle a traduit et adapté l’Antigone de Sophocle. J’aime son écriture qui est neuve et qui correspond à la distribution d’acteurs, membres du Groupe Divirsioni. J’apprécie aussi beaucoup son art des anachronismes qui confère à l’œuvre un peu d’humour alors que la tonalité en est grave. Ainsi la tirade d’Antigone sur le conscient et l’inconscient… Anne Carson écrit en anglais. La traduction qu’a fait Edouard Louis de ce texte est, en outre, parfaite.
Avez-vous un attachement particulier pour la figure d’Antigone ?
Je suis attachée aux figures de femmes militantes. Jeunes. Fortes. Rebelles à l’ordre établi et qui vont au bout de leurs choix radicaux. C’est important à notre époque.
En quoi l’Antigone d’Anne Carson est-elle réactualisée par rapport à celles d’Anouilh, de Brecht, de George Eliot ou de Judith Butler ?
Si le personnage de Carson s’inscrit dans la filiation de celui de Sophocle, elle est réactualisée par l’écriture de la dramaturge canadienne et par son utilisation des anachronismes.
Le personnage de Nick dont le diminutif est fusionné au nom d’Antigone passe son temps à mesurer. Quelle est sa fonction exacte ?
Pour moi il mesure toutes choses : le bien / le mal. Le pour / le contre. Je l’ai vu sur scène dansant. Mon parti pris a été de le situer au fond du plateau. Nick est interprété par trois acteurs, par roulement ou ensemble, quand ils n’ont ni dialogues ni monologues à dire.
Nick ne prononce pas un mot. N’avez-vous pas eu la tentation de supprimer ce personnage ?
Impossible de faire l’impasse puisque son nom est accolé au titre de la pièce. L’auteure est d’ailleurs très laconique à son sujet ! Au départ Nick devait être joué par un acteur arborant le dossard « N ». Puis j’ai opté pour deux, et enfin pour trois. Résultat il y a toujours un Nick sur scène. Parfois deux. Parfois trois.
Votre mise en scène est intemporelle.
Pour quelles raisons ?
Parce que l’histoire l’est. Des femmes s’opposant au pouvoir au risque de la prison et de la mort il y en a toujours eu.
Quel est le rôle du chœur dont les membres sont interchangeables ? Est-il l’expression d’une permanence… ajustée de variables ?
Il a la même fonction que dans la tragédie antique. Le chœur est la base rythmique de la pièce. C’est l’aiguillon qui fait avancer l’histoire. Comme lorsqu’il pousse Créon dans ses retranchements afin de le confronter à son injustice. Toute l’action repose sur le chœur. Il est le meneur de jeu. Pour les acteurs du Groupe Divirsioni, qui, s’ils sont aguerris, ne sont pas encore des « pros », c’est intéressant de jouer un rôle puis de se fondre dans le chœur et inversement. Pareil quand il s’agit d’être tantôt comédiens tantôt danseurs ou chanteurs.
Quelle part assignez-vous à la danse dans « Antigonick » ?
J’aime le mouvement. Chaque personnage en entrant sur scène à sa signature chorégraphique. C’est là sa manière de se présenter au public sur des phrases du texte. Notre travail avec le Groupe a d’ailleurs commencé par ça ! Il fallait que ça vienne naturellement chez eux. La danse est partie intégrante de l’œuvre… La danse, c’est les mots du corps !
En quoi la musique et la danse nourrissent-elles l’histoire ?
C’est la première fois que Celia Picciocchi a en charge la musique et les chants d’un spectacle du Groupe Divirsioni. Avant de prendre des décisions on a d’abord lu le texte et c’est lui qui a inspiré nos choix musicaux en tenant compte du nombre et du potentiel des acteurs. Ensuite lors de week-ends on a travaillé la partie musicale en l’intégrant à la dramaturgie. On s’est refusé des paroles en anglais et en français, d’où du corse, du grec, de l’arménien. Difficulté ? Le Groupe est composé de dix membres dont la moitié n’avait jamais abordé le travail du chant, solo ou ensemble.
De quand date la constitution du Groupe Divirsioni ?
Il est né de l’Atelier Mouvement Musique, créé en 2014. Il est formé de huit femmes et deux hommes. Certains sont professionnels, d’autres en voie de professionnalisation. Il se renouvelle tous les deux ans en général.
Où en est la concrétisation de votre projet de « Tente vagabonde » ?
Elle est prête. Elle dispose de 49 places et doit nous permettre de retourner dans les villages et les collèges de l’intérieur. Elle est d’un emploi plus facile que notre ancien chapiteau. On la veut comme un lieu d’échanges, apte à recevoir des spectacles spécialement conçus pour elle. On n’attend plus que l’autorisation officielle pour l’inaugurer.
De nouvelles créations ?
Une pièce en podcast de Jean Luc Lagarce. Une autre pour « La Fabrique de Théâtre », en décembre, « La sœur de Jésus » d’Oscar De Summa.
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Propos recueillis par M.A-P