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"Regard noir" : un film choc !

L’une est actrice et cinéaste. L’autre réalisatrice de film documentaire. Quand l’une, Aïssa Maïga et l’autre, Isabelle Simeoni se rencontrent, pas de bavardages oisifs… elles tournent !
« Regard noir », un film choc
À la caméra Aïssa Maïga et Isabelle Simeoni

L’une est actrice et cinéaste. L’autre réalisatrice de film documentaire. Quand l’une, Aïssa Maïga et l’autre, Isabelle Simeoni se rencontrent, pas de bavardages oisifs… elles tournent ! Et cela nous donne à voir et entendre, « Regard Noir », de superbes images et un propos percutant à réveiller les bonnes consciences.


« Regard Noir ». Des femmes. Des actrices. De celles qu’on classe dans la rubrique, diversité, au prétexte de la couleur de leur peau et de leur taux de mélanine. Des comédiennes talentueuses. Discriminées. Parce que noires. Parce que femmes. Elles ont noms : Assa Sylla, Mata Gabin, Eye Haïdara, Sara Martins, Nadège Beausson Diagne, Firmine Richard, Sonia Rolland, France Zobda pour ne citer que quelques-unes d’entre elles.
Toutes se heurtent au plafond de verre double épaisseur qui les bloquent dans leur élan créateur et leur épanouissement. Comme noires. Comme femmes.

La caméra d’Isabelle Simeoni et d’Aïssa Maïga nous fait toucher sur les plans sensitif, émotionnel, rationnel une réalité qui n’est pas reluisante tant elle ne correspond pas aux antiennes rabâchées des dites valeurs de la République. Oui, il y a du racisme partout en France, même en Corse. Les deux réalisatrices nous emmènent, pour nourrir notre réflexion, aux Etats-Unis, au Brésil, en Angleterre et dans l’hexagone, bien sûr.
Leur film est témoignages de victimes mais aussi et surtout de combats de femmes pour leur dignité et leur reconnaissance dans un métier qu’elles adorent. Il a également l’immense mérite de mettre l’accent sur des réussites singulières dues à beaucoup d’efforts et d’opiniâtreté. Exemplaire celle, à Hollywood, d’Ava DuVernay qui sait si bien analyser, décortiquer les relations race-justice-prison dans son pays et démonter avec art les poncifs racistes les plus tenaces. Carrière brillante, éclatante de cette cinéaste qui a su renverser les obstacles qui jonchaient sa route.

Passionnant le récit de la Brésilienne, Alexandra Loras qui fait un sort à la soi-disant bienveillance régnant dans son pays et qui dévoile combien la ségrégation sévit autour d’elle, combien elle peut être âpre, destructrice en se parant d’un affreux maquillage façonné par la propagande d’état. Evaporées alors les illusions devant le réel. Après ça on n’écoute plus la musique brésilienne de la même oreille ! Mais les maux français ne sont pas pour autant admissibles derrière un hypocrite « ailleurs, c’est pire ».
Affronter la vérité en face c’est à quoi nous invite « Regard Noir » afin de ne pas répéter des fautes intolérables avec une consternante constance. Le film n’inflige pas de leçons de conduite mais nous rappelle combien l’imagerie d’Epinal du colonialisme a déformé les consciences. Or, pour aller de l’avant il faut connaitre et assumer l’histoire en refusant les tartuferies trop commodes. Soumises encore à la méditation par le documentaire les questions des statistiques ethniques et celles des quotas à adopter ou non… « Regard Noir » étend sa problématique initiale au-delà de la sphère du cinéma et c’est sa force et sa richesse. Actuellement Aïssa Maïga finit un documentaire tourné au Niger, « Marcher sur l’eau » qui traite du changement climatique et des ressources hydriques. Isabelle Simeoni, quant à elle, termine un film sur un peintre et son œuvre tout en en préparant un autre sur les cinéastes corses et la violence.


À voir sur MyCanal. Programmé également au Festival du cinéma des femmes de Créteil (manifestation en ligne)

Comment avez-vous rencontré Aïssa Maïga ?

Je réalisais un documentaire sur la modernité d’Aimé Césaire, parmi les personnalités à interviewer il y avait Lilian Turan et Aïssa Maïga. On a sympathisé toutes les deux. On s’est revu. Elle m’a fait lire les épreuves du livre, « Noire n’est pas mon métier », qui posait la question des actrices noires dans le cinéma français et leur peu de représentation. On a filmé les premières dédicaces de l’ouvrage. Notre projet a ainsi été lancé. On a poursuivi étape par étape.

Ce qui vous a séduit dans la thématique de « Regard Noir » ?

Ce thème est l’un de ceux sur lequel je travaille depuis longtemps, pour des raisons personnelles et familiales. Ma mère, institutrice à Vescovato, s’est en particulier battue pour qu’on enseigne l’arabe dans son école. J’ai fait mes études de cinéma à New York où on parlait beaucoup de racisme entre étudiants. Là, c’était choquant de voir les difficultés auxquelles étaient confrontées mes homologues noirs qui pour la plupart devait avoir un métier pour financer leurs études. Mais New York, c’était encore respirable par rapport au reste des Etats Unis et surtout au sud.

Vous avez tourné en France, aux Etats-Unis, au Brésil.

Votre surprise la plus agréable ?... La plus détestable ?

La rencontre avec la star de la danse brésilienne, Nayara Justino a été d’une rare violence émotionnelle, à tel point que notre « fixeur » s’est mis à pleurer. Nayara nous a raconté qu’on avait déversé, sur elle, des tombereaux de haine raciste par le biais des réseaux sociaux et qu’on s’était acharné à lui faire retirer la couronne qu’elle avait emporté dans un concours prestigieux. A l’inverse l’entretien avec Ava DuVernay a été un très grand moment tant la personnalité de cette cinéaste est extraordinaire et son parcours fantastique puisque c’est une autodidacte. Je conseille de visionner absolument ses documentaires : « Selma », « Le 13 è » qui concerne le treizième amendement de la constitution américaine.


« Les symptômes provoqués par le racisme sont les mêmes où qu’on soit ! Et les femmes sont encore plus stigmatisées »

Isabelle Simeoni


Dans « Regard Noir » il y a l’exception danoise. Comment en avez-vous eu la révélation ?

En Irlande, lors d’un festival international de casting, où était invité Aïssa. On échangeait avec des Danois, qui nous ont appris, que, pour exister au plan mondial, le cinéma de leur pays devait inclure la diversité. Ce qui est réalité maintenant à tous les niveaux du 7 è art chez eux !...


Vous attendiez-vous à une situation aussi désastreuse au Brésil ?

On a halluciné… Le Brésil multiethnique, pays de la mixité et de la diversité ce n’est que du marketing d’état, qui impose un prisme déformant. Il suffit d’ouvrir les yeux et l’on reçoit de plein fouet la brutalité d’une société raciste où les gens vivent séparés, enfermés, protégés pour les plus riches, les plus blancs par des gardes du corps.


Les discriminations les plus graves subies par les actrices noires en France ?

C’est la couleur de leur peau qui enraye leur potentiel en tant que comédiennes et les voue à des rôles subalternes.


Pourquoi après avoir été nounous, aides-soignantes, infirmières sont-elles maintenant si fréquemment flics dans les séries ?

Le cinéma français est le reflet de ceux qui le fabriquent… C’est l’entre-soi. C’est la cooptation.


Pas d’avancées ?

Il y en a. Reste que le cinéma est une industrie… de luxe où la sécurité prime pour les financeurs. Mais les plateformes apportent un changement de paradigmes. Elles se sont emparées de niches, où réside précisément la diversité et désormais plus personne ne peut nier le succès de ces plateformes. Ça aide !


Que répondez-vous à ceux qui se lamentent sur un supposé racisme antiblanc ?

Mon constat : ma couleur (blanche), mes cheveux (blonds) me préservent du racisme dont souffrent noirs, asiatiques, maghrébins.


Par effet miroir « Regard Noir » nous presse de regarder ce qui se passe en Corse ?

L’an dernier pour France 3 National j’ai réalisé un documentaire sur l’immigration en Corse à partir de quatre portraits croisés de personnes nées ici et qui se sentent Corses. Enseignement : nous avons plus de points communs que de choses qui nous séparent avec les Maghrébins. Mais sur l’île s’il y a intégration, ils n’ont pas de représentation ni en politique, ni en culture ! Cela induit un questionnement à l’évidence !


On nous assène que le racisme en France n’est pas systémique comme celui des Etats-Unis. Vrai ou faux ?

Je ne vois pas la différence. L’Amérique s’est construit sur le génocide des Amérindiens. En France la traite et l’esclavage ont été des leviers de l’économie. Les symptômes provoqués par le racisme sont les mêmes où qu’on soit ! Et les femmes sont encore plus stigmatisées.



Propos recueillis par M.A-P
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