L'Agriculture Corse fait le dos rond, interview de Lionel Mortini président de l'ODARC
Déjà mise à mal par une crise qui perdure depuis quelques années et dans l’attente d’une nouvelle réforme interne, l’agriculture insulaire a dû, comme les autres secteurs faire face à la crise sanitaire...
L’agriculture corse fait le dos rond
Déjà mise à mal par une crise qui perdure depuis quelques années et dans l’attente d’une nouvelle réforme interne, l’agriculture insulaire a dû, comme les autres secteurs faire face à la crise sanitaire...
Comme l’ensemble des secteurs insulaires, le confinement de mars 2020 et la crise sanitaire qui s’en est suivie, marquée notamment par un nouvel arrêt courant octobre, a frappé de plein fouet l’agriculture. Du coup, ce secteur particulièrement fébrile qui concerne quelque 2500 exploitants et près de vingt filières, a été très fortement secoué. Quelques mois à peine après des mesures nationales (cellule de crise mise en place par le Ministère, augmentation des contrôles) et diverses manifestations de mécontentement face au non-paiement des aides ou d’une manière générale la perspective de la prochaine PAC (2021-2027) que la Covid-19 est venue mettre son grain de sable. Résultat, une inquiétude majeure pour l’ensemble des filières. Et une année difficile...
Des aides importantes
Du côté des élus, on n’a guère chômé. Dès le mois d’avril et à travers l’ODARC et le Comité de Massif, la CdC a mis en place des mesures très importantes : rachat de 3000 agneaux et cabris tous distribués auprès d’associations caritatives, rachat de 3000 animaux de réforme concernant les ovins et les caprins, de 200 veaux (filière bovine) sur des exploitations qui n’étaient plus en capacité de vente, de plusieurs dizaines de tonnes de fromage pour aider les éleveurs à déstocker. La filière viticole a également bénéficié d’un dispositif d’aide à l’achat de cuverie et de vins de cave. Les industriels locaux ont racheté le lait aux éleveurs qui ne faisaient plus de fromage...
Un programme d’accompagnement spécifique a été créé pour les filières oléicoles et castanéicoles afin d’accroître leur capacité de stockage avec un taux de financement de 80 %. La banque alimentaire a pu distribuer viande et fromage aux associations caritatives, associations des communes, CIAS...Enfin, et à travers un partenariat avec la CADEC, une avance de trésorerie a été mise en place pour les exploitants.
Un secteur encore fébrile
Le tout, à travers une grosse campagne de communication qui avait pour but d’inciter la population à consommer local. In fine, le secteur agricole a passé la première vague. Mais les circuits courts ont été mis à mal. L’agriculture fermière a payé un lourd tribut avec le premier confinement et si le retour progressif à la normale s’est amorcé à compter de mai, le mal était fait et il a été bien difficile de relever la tête avec, notamment l’annulation de toutes les foires qui constituent la vitrine indispensable de l’ensemble des filières. D’autant que la deuxième vague est venue s’insérer après l’été. Avec tout un protocole sanitaire à respecter en ce qui concerne la main d’oeuvre (vendanges, clémentines…).
Aujourd’hui, si beaucoup ont limité la casse, le secteur reste encore fébrile d’autant que la période pascale ressemble à la précédente et que les dates de réouverture des commerces – où ceux liés à l’agriculture sont nombreux – restent encore floues. Du coup et en l’absence de toute visibilité, la crainte d’une nouvelle période difficile subsiste. Il faudra quoiqu’il soit dresser un bilan de ces 18 mois (voire plus) de crise. Et c’est dans ce contexte particulièrement délicat avec des enjeux cruciaux pour la Corse que va se dessiner la prochaine PAC…«
"Si la crise subsiste, il faudra des mesures plus radicales »
Conseiller Exécutif et président de l’ODARC, Lionel Mortini analyse la situation actuelle de l’agriculture corse un an après le début de la crise sanitaire.
Comment l’agriculture insulaire a t-elle vécu la crise sanitaire à compter de mars 2020 ?
Elle a, bien sûr, connu une année très difficile comme tous les secteurs. Moins noire, cependant que ce l’on aurait pu craindre. Les agrumes, la partie arboricole et la viticulture ont pu tirer leur épingle du jeu. Il en a été de même dans l’ensemble pour le maraîchage. La filière élevage a souffert avec des ventes nettement en baisse à compter de Pâques 2020 (agneau, fromage, charcuterie). Une situation également compliquée pour l’agritourisme. On a mis en place des mesures qui ont fait que les exploitants sont parvenus à faire face à cette crise. Mais avec la vente directe interdite depuis des mois et l’absence des foires qui constituent une belle vitrine, la majorité des produits frais est délaissée.
Quels ont été les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire ?
Ils l’ont été tous plus ou moins, les filières les plus structurées ont pu résister. En termes de chiffres, l’agriculture corse représente à 80 %, le végétal. Ce secteur, même s’il convient de rester vigilant, a franchi ce cap sans trop de difficultés. Les fermiers sont en revanche les plus touchés, ils font partie de ces filières les moins structurées dont la crise est venue multiplier les problématiques. Nous allons relancer une nouvelle campagne d’aides comme en mars-avril dernier.
Peut-on craindre une « troisième vague » ?
Paris a annoncé le maintien des restaurants fermés et on ignore encore quand tous ces commerces qui permettent la vente de nos produits pourront rouvrir. La crainte est toujours là et si la crise subsiste, elle mettra les filières animales en grande difficulté. Il faudra alors des mesures beaucoup plus radicales. Avec les campagnes de vaccination qui s’intensifient, on peut raisonnablement espérer que la crise sera derrière nous après l’été. C’est un épisode éprouvant pour tout le monde et tous les secteurs. Il faudra aussi s’en servir. On s’aperçoit que c’est beaucoup plus difficile quand on n’est pas prêt à affronter une telle crise même si celle-ci est d’envergure mondiale.
Où en est la réforme que vous avez souhaité entreprendre il y a deux ans ?
Entre les différentes crises auxquelles nous avons dû faire face durant deux ans et celle du Covid-19, nous n’avons pas pu travailler dans la sérénité. On dû ralentir même si je n’ai pas traîné dans la restructuration de l’ODARC. Le fond concerne les filières, il faudra par exemple un moratoire sur la filière bovine. Je communiquerai prochainement sur ce sujet. D’autres points me paraissent également importants comme la création d’un Pôle dédié à l’installation et à la transmission des jeunes agriculteurs. Ils vivent un véritable parcours du combattant et l’on a privilégié, jusqu’ici, la quantité à la qualité...Nous allons travailler avec tout le monde mais nous reprenons la main qui était en partie tenue par les Chambres. On va les soutenir avec de l’activité plus technique. Des projets structurants seront initiés. Ils concernent la relance de la filière caprine, la création d’un pôle viande, la mise en place d’espaces d’expérimentation pour nos filières, la création d’un Marché d’Intérêt National (MIN).
S’oriente-t-on vers un changement dans la façon de travailler ?
C’est un changement radical dans la façon de penser et de construire ce pays ! On ne peut pas continuer à avoir trois chambres d’agricultures, deux associations forestières départementales et une fédération. La Collectivité a besoin des chambres, des professionnels et des filières mais nous travaillons à cette restructuration. Cette réorganisation permet aujourd’hui à l’ODARC de disposer de plus d’agents au service du développement qu’au service de l’administration. Il est important également à travers nos actions et mesures, de maintenir une vie rurale.
Interview réalisée par Philippe Peraut
Déjà mise à mal par une crise qui perdure depuis quelques années et dans l’attente d’une nouvelle réforme interne, l’agriculture insulaire a dû, comme les autres secteurs faire face à la crise sanitaire...
Comme l’ensemble des secteurs insulaires, le confinement de mars 2020 et la crise sanitaire qui s’en est suivie, marquée notamment par un nouvel arrêt courant octobre, a frappé de plein fouet l’agriculture. Du coup, ce secteur particulièrement fébrile qui concerne quelque 2500 exploitants et près de vingt filières, a été très fortement secoué. Quelques mois à peine après des mesures nationales (cellule de crise mise en place par le Ministère, augmentation des contrôles) et diverses manifestations de mécontentement face au non-paiement des aides ou d’une manière générale la perspective de la prochaine PAC (2021-2027) que la Covid-19 est venue mettre son grain de sable. Résultat, une inquiétude majeure pour l’ensemble des filières. Et une année difficile...
Des aides importantes
Du côté des élus, on n’a guère chômé. Dès le mois d’avril et à travers l’ODARC et le Comité de Massif, la CdC a mis en place des mesures très importantes : rachat de 3000 agneaux et cabris tous distribués auprès d’associations caritatives, rachat de 3000 animaux de réforme concernant les ovins et les caprins, de 200 veaux (filière bovine) sur des exploitations qui n’étaient plus en capacité de vente, de plusieurs dizaines de tonnes de fromage pour aider les éleveurs à déstocker. La filière viticole a également bénéficié d’un dispositif d’aide à l’achat de cuverie et de vins de cave. Les industriels locaux ont racheté le lait aux éleveurs qui ne faisaient plus de fromage...
Un programme d’accompagnement spécifique a été créé pour les filières oléicoles et castanéicoles afin d’accroître leur capacité de stockage avec un taux de financement de 80 %. La banque alimentaire a pu distribuer viande et fromage aux associations caritatives, associations des communes, CIAS...Enfin, et à travers un partenariat avec la CADEC, une avance de trésorerie a été mise en place pour les exploitants.
Un secteur encore fébrile
Le tout, à travers une grosse campagne de communication qui avait pour but d’inciter la population à consommer local. In fine, le secteur agricole a passé la première vague. Mais les circuits courts ont été mis à mal. L’agriculture fermière a payé un lourd tribut avec le premier confinement et si le retour progressif à la normale s’est amorcé à compter de mai, le mal était fait et il a été bien difficile de relever la tête avec, notamment l’annulation de toutes les foires qui constituent la vitrine indispensable de l’ensemble des filières. D’autant que la deuxième vague est venue s’insérer après l’été. Avec tout un protocole sanitaire à respecter en ce qui concerne la main d’oeuvre (vendanges, clémentines…).
Aujourd’hui, si beaucoup ont limité la casse, le secteur reste encore fébrile d’autant que la période pascale ressemble à la précédente et que les dates de réouverture des commerces – où ceux liés à l’agriculture sont nombreux – restent encore floues. Du coup et en l’absence de toute visibilité, la crainte d’une nouvelle période difficile subsiste. Il faudra quoiqu’il soit dresser un bilan de ces 18 mois (voire plus) de crise. Et c’est dans ce contexte particulièrement délicat avec des enjeux cruciaux pour la Corse que va se dessiner la prochaine PAC…«
"Si la crise subsiste, il faudra des mesures plus radicales »
Conseiller Exécutif et président de l’ODARC, Lionel Mortini analyse la situation actuelle de l’agriculture corse un an après le début de la crise sanitaire.
Comment l’agriculture insulaire a t-elle vécu la crise sanitaire à compter de mars 2020 ?
Elle a, bien sûr, connu une année très difficile comme tous les secteurs. Moins noire, cependant que ce l’on aurait pu craindre. Les agrumes, la partie arboricole et la viticulture ont pu tirer leur épingle du jeu. Il en a été de même dans l’ensemble pour le maraîchage. La filière élevage a souffert avec des ventes nettement en baisse à compter de Pâques 2020 (agneau, fromage, charcuterie). Une situation également compliquée pour l’agritourisme. On a mis en place des mesures qui ont fait que les exploitants sont parvenus à faire face à cette crise. Mais avec la vente directe interdite depuis des mois et l’absence des foires qui constituent une belle vitrine, la majorité des produits frais est délaissée.
Quels ont été les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire ?
Ils l’ont été tous plus ou moins, les filières les plus structurées ont pu résister. En termes de chiffres, l’agriculture corse représente à 80 %, le végétal. Ce secteur, même s’il convient de rester vigilant, a franchi ce cap sans trop de difficultés. Les fermiers sont en revanche les plus touchés, ils font partie de ces filières les moins structurées dont la crise est venue multiplier les problématiques. Nous allons relancer une nouvelle campagne d’aides comme en mars-avril dernier.
Peut-on craindre une « troisième vague » ?
Paris a annoncé le maintien des restaurants fermés et on ignore encore quand tous ces commerces qui permettent la vente de nos produits pourront rouvrir. La crainte est toujours là et si la crise subsiste, elle mettra les filières animales en grande difficulté. Il faudra alors des mesures beaucoup plus radicales. Avec les campagnes de vaccination qui s’intensifient, on peut raisonnablement espérer que la crise sera derrière nous après l’été. C’est un épisode éprouvant pour tout le monde et tous les secteurs. Il faudra aussi s’en servir. On s’aperçoit que c’est beaucoup plus difficile quand on n’est pas prêt à affronter une telle crise même si celle-ci est d’envergure mondiale.
Où en est la réforme que vous avez souhaité entreprendre il y a deux ans ?
Entre les différentes crises auxquelles nous avons dû faire face durant deux ans et celle du Covid-19, nous n’avons pas pu travailler dans la sérénité. On dû ralentir même si je n’ai pas traîné dans la restructuration de l’ODARC. Le fond concerne les filières, il faudra par exemple un moratoire sur la filière bovine. Je communiquerai prochainement sur ce sujet. D’autres points me paraissent également importants comme la création d’un Pôle dédié à l’installation et à la transmission des jeunes agriculteurs. Ils vivent un véritable parcours du combattant et l’on a privilégié, jusqu’ici, la quantité à la qualité...Nous allons travailler avec tout le monde mais nous reprenons la main qui était en partie tenue par les Chambres. On va les soutenir avec de l’activité plus technique. Des projets structurants seront initiés. Ils concernent la relance de la filière caprine, la création d’un pôle viande, la mise en place d’espaces d’expérimentation pour nos filières, la création d’un Marché d’Intérêt National (MIN).
S’oriente-t-on vers un changement dans la façon de travailler ?
C’est un changement radical dans la façon de penser et de construire ce pays ! On ne peut pas continuer à avoir trois chambres d’agricultures, deux associations forestières départementales et une fédération. La Collectivité a besoin des chambres, des professionnels et des filières mais nous travaillons à cette restructuration. Cette réorganisation permet aujourd’hui à l’ODARC de disposer de plus d’agents au service du développement qu’au service de l’administration. Il est important également à travers nos actions et mesures, de maintenir une vie rurale.
Interview réalisée par Philippe Peraut