Nadine Nivaggioni, Présidente de la Commission du développement économique et de l’aménagement du territoire.
« Le défi majeur des années à venir sera de faire en sorte que la Corse soit moins dépendante économiquement en produisant plus localement »
À l’heure du déconfinement progressif, la Corse reprend son activité. L’occasion pour Nadine Nivaggioni, Présidente de la Commission du développement économique et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée de Corse, d’évoquer la situation économique actuelle et les perspectives. Autour d’un enjeu majeur : travailler à l’élaboration d’un nouveau modèle…
« Le défi majeur des années à venir sera de faire en sorte que la Corse soit moins dépendante économiquement en produisant plus localement »
Comment avez-vous travaillé en amont au niveau économique face à la situation ?
Une première période a été consacrée aux auditions des différents acteurs du monde économique insulaire : Chambres Consulaires, Cadec, Experts Comptables, Tribunaux de Commerce, Banques, URSAFF, Transporteurs routiers, Compagnies maritimes, Air Corsica, Syndicats agricoles, les chemins de fer de la Corse… afin d’avoir une photo claire de la situation. Plusieurs phases ont été identifiées : au lendemain du 16 mars dernier, les entreprises corses ont baissé leur rideau ; elles étaient comme anesthésiées, face à l’inconnu et à la soudaineté des décisions gouvernementales. Très vite, elles ont su s’adapter, en prenant des initiatives (traiteurs et drive pour certains restaurants, organisations collectives et livraison pour les petits producteurs, vente en ligne pour les commerces les plus agiles…), en mettant en œuvre de nouvelles organisations de travail pour éviter l’arrêt total de l’activité et préserver l’emploi de leurs salariés. Simultanément, elles se sont penchées sur les mesures de soutien les plus appropriées, notamment le PGE, très sollicité, le Fonds National de Solidarité ou Sustegnu. Nous avons pu constater pour notre part, que les banques ont joué le jeu avec toutes les catégories d’entreprises.
En quoi consiste, aujourd’hui, votre rôle ?
Noter mission va s’étaler sur plusieurs mois jusqu’à l’élaboration des plans de relance. Nous sommes actuellement sur l’analyse de situations à rebondissements. Viendra ensuite le bilan de la saison et les perspectives de relance à moyen et long terme. Nos échanges avec les acteurs nous ont permis d’évaluer les mesures et en même temps de constater les manques… Nous avons recensé les typologies d’entreprises qui ne répondaient pas aux critères d’éligibilité. Au sortir des réunions, notre action a consisté à faire remonter nos observations, des alertes, des pistes à envisager, au cabinet du Président de l’Exécutif. Tout a été très vite ; c’est dans un contexte aux contours fluctuants, autour de déclarations gouvernementales contradictoires et déroutantes que les acteurs économiques ont dû résister. De ces trois phases (sidération (brève)/adaptation des activités pour certaines entreprises/évaluation de la perte d’exploitation et choix des mesures les plus appropriées), est issue la quatrième : la préparation à la reprise d’activité avec la mise en place de procédures de sécurité sanitaires coûteuses mais garantissant l’interaction entre les personnes. Là encore et en fonction des secteurs, les entreprises se sont mises progressivement en marche. On a pu noter, malgré la violence de la crise et les pertes d’exploitation qui en ont découlé, une forte résilience de nos TPE et PME. On a mesuré une très forte relation entre les Chambres de Métiers et de Commerce et leurs ressortissants respectifs. Le retour massif du questionnaire pertinent de la CMA à ses 16 000 entreprises en est le témoignage. La réactivité de l’ensemble des acteurs locaux et les décisions du niveau politique dirigeant local amortiront quelque peu le choc, mais ne pourront éviter la perte ou de graves difficultés pour 20 à 30% des entreprises si la crise perdurait.
Quelles perspectives à moyen et long terme ?
Cet épisode inédit a confirmé la fragilité de notre système économique, qui repose très largement sur le secteur touristique. Nous avons toujours eu conscience de l’insuffisance de notre secteur productif et notre dépendance à l’extérieur. Cette crise va accélérer la mise en œuvre des orientations politiques prises par notre Exécutif pour contrecarrer la voie dans laquelle la Corse s’est enkystée depuis des décennies. Les plans de relance n’iront pas dans le sens d’une Révolution mais ils poseront très clairement les marqueurs de systèmes allant vers plus d’autonomie économique. Nous ne sommes pas à l’abri d’une autre crise climatique, énergétique, sanitaire, financière…D’autres initiatives sont prises en ce sens ; la CCI régionale a engagé un cabinet d’ingénierie pour travailler sur les pistes d’un futur modèle, en s’appuyant sur l’expression de ses ressortissants, à partir d’un questionnaire très largement diffusé et très intéressant dans sa conception. Les travaux à venir des Commissions porteront sur l’élaboration d’éléments de tendance. C’est une réflexion de fond qui nous permettra d’emprunter lentement des chemins plus sécurisés.
« L’erreur serait de positionner le tourisme en courroie d’entraînement »
Comment comptez-vous œuvrer à ce nouveau modèle ?
Un débat de fond sur l’avenir de la Corse devra traverser l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée et l’ensemble de la société corse. Tous, à des niveaux différents, avons été victimes et otages de cette crise. Après le plan sanitaire proposé par le Président de l’Exécutif, les soutiens financiers apportés aux entreprises et le plan de reprise d’activité, nous allons entrer dans la phase des plans de relance. Il ne faut pas les envisager comme des plans de sauvegarde mais bien comme une structuration solide du changement. Le défi majeur des années à venir sera de faire en sorte que la Corse soit la moins dépendante possible économiquement et la plus productive possible : notre credo depuis toujours. Je ne crois pas à l’élaboration d’un nouveau modèle ex nihilo, mais nous croyons depuis longtemps à la pose de curseurs, qui à travers les guides des aides, les orientations de notre action publique, nos priorités, dirigeront la Corse sur la voie de plus d’autonomie énergétique, plus d’autonomie alimentaire, la sauvegarde de nos terres productives, de plus de local et de plus d’identité et plus de durabilité dans nos environnements. L’erreur serait de positionner le tourisme en courroie d’entraînement. Nos politiques accompagneront un rééquilibrage au profit d’autres secteurs.
Quelles sont les bases de ce nouveau modèle ?
Par une transition progressive et indolore, nous accompagnerons les entreprises vers des priorités de production. Je pense notamment à la culture, l’agriculture, l’économie numérique, les activités de pleine nature…On doit pouvoir produire une culture cinématographique, théâtrale…Anoblir notre patrimoine et valoriser nos producteurs locaux dans tous les secteurs. Recensons et soutenons tout ce qui marche et qui va dans le sens de plus d’autonomie, vers un étalement plus long de la saison, plus de durabilité.
La crise économique va entraîner dans son sillage, une crise sociale. Comment y faire face ?
L’impact de la crise dans une région déjà fortement précarisée aura de très graves conséquences sociales. Les 50 000 personnes environ en chômage partiel vont-elles toutes retrouver un emploi ? C’est peu probable. La formation aura un rôle majeur dans la nouvelle équation. Quelles orientations proposées lorsque les secteurs traditionnellement porteurs d’emplois saisonniers ou pérennes ne sont plus en capacité d’offrir du travail, même temporairement ?La réponse ne pourra être apportée que collectivement. Là encore, les solutions dépendront des fameux curseurs que nous serons susceptibles de bouger ou pas. Nous avons pu constater le rôle majeur de l’action solidaire en général pendant cette période. Nous devons réfléchir à la mise en place de programmes d’accès à l’alimentation et à la production domestique en créant des aménagements de jardins comestibles et en développant de pratiques culturales au sein de nos villes et de nos bourgs pour que de nombreuses familles bénéficient d’un bout de terre et puissent s’alimenter sainement malgré un très faible pouvoir d’achat. Il ne s’agit pas d’actions de bobos écolos mais de vrais programmes structurants participant à l’autonomie alimentaire.
Quelles mesures à court terme pour l’Assemblée de Corse ?
A court terme, tous nos efforts vont porter sur la sécurisation de la destination corse pour la saison, qui semble imminente. Comme nous, la Sardaigne, également, a fait le choix d’un passeport sanitaire. Les voyageurs recherchent des destinations proches et sécurisées. Dans ce même temps, la préoccupation portera sur la préparation de la rentrée scolaire de manière sécurisée également et sur la rentrée sociale qui s’annonce plus compliquée. Pendant cette crise, on a très peu entendu les petites entreprises opiniâtres, qui repartent après chaque grève, chaque intempérie ; à l’inverse, des hôteliers peu scrupuleux sont montés au créneau violemment. Les motifs de s révolte ont été incompris par la grande majorité des Corses, qui ne vit pas de la manne touristique et qui a du mal à joindre les deux bouts. La preuve du partage des richesses dans les zones les plus touristiques de Corse n’a pas encore été démontrée à ce jour, puisque c’est dans celles-ci que le taux de chômage des jeunes et des femmes est le plus élevé. L’aéronautique au niveau international perd des marchés, des clients ; a-t-on entendu se plaindre un des fleurons de l’économie corse dans le domaine ? Non ! C’est dans l’esprit des commissions que nous avons menées , par la concertation avec l’ensemble des acteurs, par la recherche de nouvelles orientations, et par la solidarité que la Corse sortira renforcée durablement.
« Le défi majeur des années à venir sera de faire en sorte que la Corse soit moins dépendante économiquement en produisant plus localement »
Comment avez-vous travaillé en amont au niveau économique face à la situation ?
Une première période a été consacrée aux auditions des différents acteurs du monde économique insulaire : Chambres Consulaires, Cadec, Experts Comptables, Tribunaux de Commerce, Banques, URSAFF, Transporteurs routiers, Compagnies maritimes, Air Corsica, Syndicats agricoles, les chemins de fer de la Corse… afin d’avoir une photo claire de la situation. Plusieurs phases ont été identifiées : au lendemain du 16 mars dernier, les entreprises corses ont baissé leur rideau ; elles étaient comme anesthésiées, face à l’inconnu et à la soudaineté des décisions gouvernementales. Très vite, elles ont su s’adapter, en prenant des initiatives (traiteurs et drive pour certains restaurants, organisations collectives et livraison pour les petits producteurs, vente en ligne pour les commerces les plus agiles…), en mettant en œuvre de nouvelles organisations de travail pour éviter l’arrêt total de l’activité et préserver l’emploi de leurs salariés. Simultanément, elles se sont penchées sur les mesures de soutien les plus appropriées, notamment le PGE, très sollicité, le Fonds National de Solidarité ou Sustegnu. Nous avons pu constater pour notre part, que les banques ont joué le jeu avec toutes les catégories d’entreprises.
En quoi consiste, aujourd’hui, votre rôle ?
Noter mission va s’étaler sur plusieurs mois jusqu’à l’élaboration des plans de relance. Nous sommes actuellement sur l’analyse de situations à rebondissements. Viendra ensuite le bilan de la saison et les perspectives de relance à moyen et long terme. Nos échanges avec les acteurs nous ont permis d’évaluer les mesures et en même temps de constater les manques… Nous avons recensé les typologies d’entreprises qui ne répondaient pas aux critères d’éligibilité. Au sortir des réunions, notre action a consisté à faire remonter nos observations, des alertes, des pistes à envisager, au cabinet du Président de l’Exécutif. Tout a été très vite ; c’est dans un contexte aux contours fluctuants, autour de déclarations gouvernementales contradictoires et déroutantes que les acteurs économiques ont dû résister. De ces trois phases (sidération (brève)/adaptation des activités pour certaines entreprises/évaluation de la perte d’exploitation et choix des mesures les plus appropriées), est issue la quatrième : la préparation à la reprise d’activité avec la mise en place de procédures de sécurité sanitaires coûteuses mais garantissant l’interaction entre les personnes. Là encore et en fonction des secteurs, les entreprises se sont mises progressivement en marche. On a pu noter, malgré la violence de la crise et les pertes d’exploitation qui en ont découlé, une forte résilience de nos TPE et PME. On a mesuré une très forte relation entre les Chambres de Métiers et de Commerce et leurs ressortissants respectifs. Le retour massif du questionnaire pertinent de la CMA à ses 16 000 entreprises en est le témoignage. La réactivité de l’ensemble des acteurs locaux et les décisions du niveau politique dirigeant local amortiront quelque peu le choc, mais ne pourront éviter la perte ou de graves difficultés pour 20 à 30% des entreprises si la crise perdurait.
Quelles perspectives à moyen et long terme ?
Cet épisode inédit a confirmé la fragilité de notre système économique, qui repose très largement sur le secteur touristique. Nous avons toujours eu conscience de l’insuffisance de notre secteur productif et notre dépendance à l’extérieur. Cette crise va accélérer la mise en œuvre des orientations politiques prises par notre Exécutif pour contrecarrer la voie dans laquelle la Corse s’est enkystée depuis des décennies. Les plans de relance n’iront pas dans le sens d’une Révolution mais ils poseront très clairement les marqueurs de systèmes allant vers plus d’autonomie économique. Nous ne sommes pas à l’abri d’une autre crise climatique, énergétique, sanitaire, financière…D’autres initiatives sont prises en ce sens ; la CCI régionale a engagé un cabinet d’ingénierie pour travailler sur les pistes d’un futur modèle, en s’appuyant sur l’expression de ses ressortissants, à partir d’un questionnaire très largement diffusé et très intéressant dans sa conception. Les travaux à venir des Commissions porteront sur l’élaboration d’éléments de tendance. C’est une réflexion de fond qui nous permettra d’emprunter lentement des chemins plus sécurisés.
« L’erreur serait de positionner le tourisme en courroie d’entraînement »
Comment comptez-vous œuvrer à ce nouveau modèle ?
Un débat de fond sur l’avenir de la Corse devra traverser l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée et l’ensemble de la société corse. Tous, à des niveaux différents, avons été victimes et otages de cette crise. Après le plan sanitaire proposé par le Président de l’Exécutif, les soutiens financiers apportés aux entreprises et le plan de reprise d’activité, nous allons entrer dans la phase des plans de relance. Il ne faut pas les envisager comme des plans de sauvegarde mais bien comme une structuration solide du changement. Le défi majeur des années à venir sera de faire en sorte que la Corse soit la moins dépendante possible économiquement et la plus productive possible : notre credo depuis toujours. Je ne crois pas à l’élaboration d’un nouveau modèle ex nihilo, mais nous croyons depuis longtemps à la pose de curseurs, qui à travers les guides des aides, les orientations de notre action publique, nos priorités, dirigeront la Corse sur la voie de plus d’autonomie énergétique, plus d’autonomie alimentaire, la sauvegarde de nos terres productives, de plus de local et de plus d’identité et plus de durabilité dans nos environnements. L’erreur serait de positionner le tourisme en courroie d’entraînement. Nos politiques accompagneront un rééquilibrage au profit d’autres secteurs.
Quelles sont les bases de ce nouveau modèle ?
Par une transition progressive et indolore, nous accompagnerons les entreprises vers des priorités de production. Je pense notamment à la culture, l’agriculture, l’économie numérique, les activités de pleine nature…On doit pouvoir produire une culture cinématographique, théâtrale…Anoblir notre patrimoine et valoriser nos producteurs locaux dans tous les secteurs. Recensons et soutenons tout ce qui marche et qui va dans le sens de plus d’autonomie, vers un étalement plus long de la saison, plus de durabilité.
La crise économique va entraîner dans son sillage, une crise sociale. Comment y faire face ?
L’impact de la crise dans une région déjà fortement précarisée aura de très graves conséquences sociales. Les 50 000 personnes environ en chômage partiel vont-elles toutes retrouver un emploi ? C’est peu probable. La formation aura un rôle majeur dans la nouvelle équation. Quelles orientations proposées lorsque les secteurs traditionnellement porteurs d’emplois saisonniers ou pérennes ne sont plus en capacité d’offrir du travail, même temporairement ?La réponse ne pourra être apportée que collectivement. Là encore, les solutions dépendront des fameux curseurs que nous serons susceptibles de bouger ou pas. Nous avons pu constater le rôle majeur de l’action solidaire en général pendant cette période. Nous devons réfléchir à la mise en place de programmes d’accès à l’alimentation et à la production domestique en créant des aménagements de jardins comestibles et en développant de pratiques culturales au sein de nos villes et de nos bourgs pour que de nombreuses familles bénéficient d’un bout de terre et puissent s’alimenter sainement malgré un très faible pouvoir d’achat. Il ne s’agit pas d’actions de bobos écolos mais de vrais programmes structurants participant à l’autonomie alimentaire.
Quelles mesures à court terme pour l’Assemblée de Corse ?
A court terme, tous nos efforts vont porter sur la sécurisation de la destination corse pour la saison, qui semble imminente. Comme nous, la Sardaigne, également, a fait le choix d’un passeport sanitaire. Les voyageurs recherchent des destinations proches et sécurisées. Dans ce même temps, la préoccupation portera sur la préparation de la rentrée scolaire de manière sécurisée également et sur la rentrée sociale qui s’annonce plus compliquée. Pendant cette crise, on a très peu entendu les petites entreprises opiniâtres, qui repartent après chaque grève, chaque intempérie ; à l’inverse, des hôteliers peu scrupuleux sont montés au créneau violemment. Les motifs de s révolte ont été incompris par la grande majorité des Corses, qui ne vit pas de la manne touristique et qui a du mal à joindre les deux bouts. La preuve du partage des richesses dans les zones les plus touristiques de Corse n’a pas encore été démontrée à ce jour, puisque c’est dans celles-ci que le taux de chômage des jeunes et des femmes est le plus élevé. L’aéronautique au niveau international perd des marchés, des clients ; a-t-on entendu se plaindre un des fleurons de l’économie corse dans le domaine ? Non ! C’est dans l’esprit des commissions que nous avons menées , par la concertation avec l’ensemble des acteurs, par la recherche de nouvelles orientations, et par la solidarité que la Corse sortira renforcée durablement.