Exposition Céline Lorenzi à la Galerie Noir et Blanc de Bastia
Caracas - Bastia , direct !
Caracas – Bastia, direct !
« L’or du vent », un titre magnifique pour une exposition qui l’est tout autant à la Galerie Noir et Blanc de Bastia, dirigée par France-Anne Van Peteghem. « L’or du vent », récit d’une itinérance diasporique entre Corse et Venezuela, entre océan Atlantique et mer Méditerranée.
Ferveur. Beauté. Humour. Fusion de dépaysement et de retour aux sources.
L’histoire que déroule en peinture Céline Lorenzi, que déploie en poèmes Daphné Barraud Battistini, que chante en bande son Paul-Félix Raffini nous entraîne des environs de Caracas aux alentours de Bastia, du village d’Onoto précisément à celui de Sisco. Par la magie de l’art – des arts – les distances sont abolies et le temps se transforme en instants perpétuels qui ignore le passé et pourtant le restitue !
« L’or du vent », voyage que propose la plasticienne, nous embarque d’abord dans un camion de déménagement, qui troupeaux de zébus délaissés, et après avoir salué la Vierge des Capcorsins ainsi que l’arrière-grand père de l’artiste, nous conduit au port. Cinq tableaux luxuriants de très grands formats pour cinq embarcadères. Sur le « Quai 1 », nommé « Pêcheur de perles », nous attend un surprenant cargo doublé d’une sympathique automobile qui sans aucun doute n’a pas l’âge de ses artères, puisqu’elle transporte des canots de sauvetage et que sur cet ensemble à l’ironie surréaliste et troublante veillent de très grâcieux oiseaux bleus. Le périple est promesse de féérie fantastique avec une note de mélancolie.
« Quai 2 », appelé « Le son des cuivres » nous guette pour un itinéraire onirique à tire-d’aile jusqu’à la jungle sud-américaine. « Quai 3 », dit « L’ombre d’un rêve » nous ouvre une sublime porte sur des possibles recélant de potentiels trésors ou encore suggérant des silhouettes surgies d’autrefois disparus mais qui ont vaincu l’oubli. « Quai 4 », baptisé « L’or du vent » nous offre un parcours initiatique de l’église Saint Michel de Sisco aux plantes vénéneuses et carnivores vénézuéliennes ; les voies sont certes dangereuses mais l’esprit est là qui alerte, qui sauve… « Quai 5 » mentionné « Le doré » nous plonge dans des bleus absolus dont l’horizon est gardé par l’îlot ultime du Cap Corse. Sentinelle marine.
Au long cours de la visite de « L’or du vent » on navigue dans des gammes d’ocre, de rouille, de rouges, de roses qui happent le regard et le cajolent.
Embarquez vite !
Miracle de la poésie
Les poèmes de Daphné Barraud Battistini il faut le lire à haute voix, alors ils prennent toute leur ample résonance et leur profondeur rare. La rime classique de l’antique sonnet devient rythme, cadence, vibrance. On est là dans une scansion si ancienne qu’elle nous propulse en un premier matin du monde. Cette poésie s’écoute et se regarde aussi car elle est jeu de concordances ciselées dansant sur une typographie aux tonalités parfois allègres… Souvent très graves.
De 1898, date du départ de son arrière-grand-père, Pierre Ignace Battistini, pour le Venezuela à son heure dernière le 24 août 1924, en Corse, c’est le voyage d’une vie que nous propose la poétesse.
(Chacun des onze poèmes est présenté avec un somptueux encadrement, sur un élégant papier, en de délicates topographies.)
« Les couleurs de « L’or du vent » sont toujours très fortes parce que j’ai des choses fortes à raconter… »
Céline Lorenzi
Quand cette thématique de la diaspora capcorsine en Amérique du Sud s’est-elle imposée à vous ?
France-Anne, responsable de la Galerie Noire et Blanc m’a proposé une exposition individuelle, au moment où dans mon travail d’artiste je désirais faire retour au Cap Corse, berceau de ma famille. J’ai tout naturellement pensé à associer à l’aventure ma cousine, Daphné Barraud Battistini, qui est écrivain et poète avec qui je partage les mêmes souvenirs, les mêmes racines capcorsines et vénézuéliennes. D’où cet « Or du vent » en miroir, sur elle et moi, sur le Cap et l’Amérique latine, sur l’insularité et la diaspora.
Est-ce un exercice de mémoire, un devoir de mémoire que vous nous proposez ?
Mon lien avec le Venezuela c’est ma grand-mère qui me l’a transmis. Ce lien est très affectif. Cette exposition le reflète et je peux dire qu’elle est devoir de mémoire. Ces tableaux je les ai peints sous le regard des miens, de ceux qui m’ont précédé et qui pour moi sont toujours là. Toujours à mes côtés. Toujours présents.
Vos peintures et les poèmes de Daphné Barraud Battistini se complètent-ils ? Se conjuguent-ils ?
Peintures et poèmes ont une égale intensité. Les uns donnent du relief aux autres et inversement. Il y a rebondissement des poèmes aux peintures. On a travaillé dans une entente parfaite en demandant toujours l’avis de l’autre. Dans un sens nos œuvres sont complémentaires car Daphné est classique et moi, non. Je suis plutôt instinctive. Elle est plus universelle dans sa forme tout en ayant des accents sud-américains par la puissance de ses images. J’ai pu me reposer sur ses créations ce qui m’a permis de me lâcher. Ensemble on est allé au plaisir de l’aventure comme si on s’embarquait pour les Amériques…
Cette exposition est-elle pour vous le signe d’un renouvellement artistique ? D’une nouvelle approche esthétique ?
C’est un tournant. J’ai commencé mon travail de peintre sur le Cap Corse il y a trente ans. Puis mes préoccupations artistiques se sont tournées vers l’Amérique du Sud. Avec « L’or du vent » c’est un retour aux sources et en même temps un aboutissement. Je suis revenue au port. J’y suis amarrée. Je m’y sens bien ! Cette exposition c’est la maturité.
Comment couleurs, formats, matière que vous employez, participent-ils à l’atmosphère que vous développez ?
Les couleurs de « L’or du vent » sont toujours très fortes parce que j’ai des choses fortes à raconter et que chez moi le Cap Corse provoque des émotions fortes. Si mes couleurs peuvent être explosives, mes contrastes sont également très importants. Pour peindre l’Amérique du Sud mes rouges et mes bleus sont violents, pour Sisco et la pointe du Cap mes bleus ont quelque chose de mystérieux, de mystique. Comme support j’ai choisi la toile de jute dont on perçoit le grain. J’ai peint à l’acrylique sur de très grands formats pour créer une impression de film avec des dialogues portés par les poèmes de Daphné, musique et son de Paul-Félix Raffini intervenant comme une bande originale. Celle-ci comprend également un poème d’Octavio Paz que j’aime beaucoup. Thèmes, couleurs, formats, matière m’ont permis d’imaginer une véritable mise en scène à l’intention du spectateur.
La bande son comment a-t-elle été réalisée ?
Elle réunit des bruits de vagues, de vent, des chants d’oiseaux, de la musique. Paul-Félix Raffini a monté ces éléments auxquels il a ajouté une de ses créations musicales.
L’immigration de votre aïeul au Venezuela est-elle restée vivace dans votre famille ?
Cette histoire me vient surtout de ma grand-mère, Maria Natalia auprès de laquelle j’ai grandi et qui compte beaucoup pour moi. J’aimais les récits qu’elle me faisait qui étaient comme des contes, des légendes, des mythe et qui revêtaient aussi un aspect d’eldorado… Et puis ça me différenciait des autres filles ! Ces récits m’ont construit. Ils m’ont permis de me trouver et de me retrouver !
Qu’aviez-vous sous la main pour nourrir cette histoire de diaspora ?
Je me suis appuyée sur mes souvenirs personnels qui reflètent ceux de la diaspora et sur mon imaginaire. Des lectures m’ont aussi porté. Si je suis allée en Bolivie, au Pérou, au Mexique, je n’ai jamais été au Venezuela ! Ce pays reste à la fois mon paradis perdu et ma terre promise…
Pourquoi votre ancêtre Pierre Ignace Battistini est-il revenu en Corse ?
L’île devait lui manquer ! Il avait gagné de quoi vivre honorablement grâce à son troupeau de zébus et à son usine de tissu… sans plus. Avec lui il a ramené épouse et enfants dont ma grand-mère qui m’a tant apporté. Son épouse ne s’est pas acclimatée sous nos cieux, le mal du pays l’a emporté, ça m’a énormément marqué.
Actuellement les migrants sont mal vus et rejetés. Votre exposition est-elle un appel à la bienveillance ? A l’ouverture d’esprit ?
Bienveillance aux autres, ouverture d’esprit voilà qui fait partie de mes valeurs, de mes idéaux. Tous, on a pu avoir dans nos familles un – des – migrant-s ou être susceptible de voir partir au loin un – ou plusieurs – des nôtres. Ce constant implique la nécessité de se dépasser.
Propos recueillis par M.A-P