L'autonomie sans violence : le pari de l'intelligence ?
Un sentiment très personnel sur le nationalisme tel que je l 'ai connu, mais aussi vécu.
L’autonomie sans violence : le pari de l’intelligence
Je profite de la trêve estivale pour donner ici un sentiment très personnel sur le nationalisme tel que je l’ai connu, mais aussi vécu. J’ai commencé à militer sur la Corse en 1974 avec l’affaire des Boues rouges. Puis j’ai continué dans le cadre de la Ligue communiste. En 1994, j’ai adhéré à la toute jeune ANC, fruit d’une scission du mouvement nationaliste avant de quitter cette organisation trois ans plus tard, après la fin de la guerre entre factions nationalistes. J’aurais donc cheminé avec cette famille de pensée près d’un demi-siècle, approuvant certaines de leurs réalisations et condamnant fermement certaines autres à commencer par les assassinats de Robert Sozzi et de Franck Muzy, préambule au conflit meurtrier entre les FLNC.
Un courant qui a permis la modernisation de la Corse
Grands souvenirs que cette mobilisation contre les Boues rouges. Nous protestions alors contre le déversement de ces déchets au mercure par la société italienne Montedison au large de la Corse. La puissance des manifestations, la détermination de leurs acteurs et puis surtout le plasticage d’un navire de la Montedison par u Fronte paesanu corsu di liberazione, donnèrent à cette campagne une portée internationale. C’était aussi d’une certaine façon la légitimation d’une violence d’autodéfense.
Le FPCL n’était qu’un minuscule groupuscule aux sympathies tiers-mondistes affirmées. Des jeunes de l’ARC avaient formé Ghjustizia paolina, autre groupe de la nuit dont les militants allaient jouer un rôle important dans la radicalisation de la situation au moment d’Aleria.
Il y avait aussi l’ARC avec à sa tête le charismatique Edmond Simeoni. Mais ce mouvement régionalistesne pesait pas lourd face aux partis traditionnels, courroies de transmission vers l’État français.
La création du FLNC en 1976, un an après la fin de la dernière coloniale, indiquait déjà le décalage de la Corse avec les luttes de libération nationale. Ce décalage trouvait une de ses explications dans l’origine politique d’une partie des dirigeants nationalistes : l’extrême-droite. Leurs parents avaient été des farouches partisans de l’Algérie française et avaient profondément meurtris par les abandons successifs de l’État français. Ce ressentiment avait nourri l’idée que l’état français était à combattre. Et puisque de petits peuples comme celui du Vietnam ou de l’Algérie avaient réussi à obtenir leur indépendance, pourquoi ne pas suivre leur exemple en mêlant la tradition corse du bandit et celle du nationaliste combattant. Les problèmes ont commencé à surgir, quand la vieille habitude de la division a percé la peau de l’unanimisme. La direction du Front a été contestée. Des secteurs ont été créés pour tenter de calmer les rivalités qui ont pris de l’ampleur et générer des conflits étroitement liés aux territoires exactement comme au XVIIIe siècle. Les confits se sont transformés en affrontements armés.
L’un des plus grands paradoxes du mouvement clandestin corse c’est que lui qui espérait un légendaire de martyr comme en Irlande ou au Pays basque ne célèbre in fine qu’un seul héros « mort au combat ». Tous les autres morts ont été victimes d’accidents ou d’embuscades tendues par leurs frères ennemis. Un seul martyr pour un demi-siècle de lutte, ça donne à réfléchir.
Les autres morts
Je dois avouer que, pris dans la tourmente de cette lutte intestine, je ne percevais pas bien les enjeux de la catastrophe. De surcroît, en grand naïf, je n’avais pas compris que les organisations nationalistes ne fonctionnaient qu’au double langage. L’organisation légale affirmait contre toute évidence ne rien à voir avec la clandestinité.
Pourtant deux assassinats parmi tant d’autres m’ont profondément marqué au point que je ne suis jamais parvenu à les dépasser : celui de Robert Sozzi en juin 1993, abattu par le Canal historique pour d’obscures raisons de manipulation du nord par le sud puis de Franck Muzy qui avait pris la tête du comité Sozzi. Je l’ai écrit alors et je ne retire pas une virgule de mes propos : c’était une infamie et une lâcheté. Ils ne représentaient aucun danger et ont servi de « cadavere eccelente » de signes d’une piste sanglante.
Le FLNC a fait applaudir sa revendication à la tribune et ceux qui ont accepté de saluer ces crimes se sont déshonorés. Le FLNC n’a jamais présenté d’excuses pour ces saloperies. Dès lors, il était à mes yeux discrédité moralement. Puis, il y eut l’affairisme, les exécutions de supposés dealers au nom de la lutte contre la drogue. Enfin, des gendarmes et des policiers furent abattus dans des conditions affreuses sans que là encore, les années passant les organisations clandestines n’expriment le moindre regret elles qui imitaient le pathos irlandais quand l’un des leurs était abattu par la faction adverse. Alors oui j’ai détesté ce type d’activités qui ne pouvaient que mener à une impasse.
Et l’impasse a été si j’ose dire l’assassinat du préfet Erignac.
Un mort significatif
Oublions les couacs du mouvement nationaliste qui après avoir bramé « Glori’à tè Yvan » a été obligé de rétropédaler quand le principal intéressé s’est dit innocent du crime. L’assassinat du préfet Erignac a autant été la démonstration de la décomposition du mouvement clandestin que celle des renoncements étatiques sous la catastrophique houlette de Charles Pasqua.
Souvenons-nous : le préfet Erignac avait été missionné en Corse juste après la pantomime de Tralonca le 12 janvier 1996. Cette conférence de presse du FLNC Canal historique avait été préparée place Beauvau au ministère de l’Intérieur (dixit plusieurs responsables nationalistes acteurs du fait) et donnait le sentiment d’un choix étatique au détriment du FLNC Canal habituel et de Resistanza. La gendarmerie faisait le service d’ordre de cette mascarade en grande partie composée de figurants payés. Un accord avait été acté entre le FLNC Canal historique et l’État.
Le nouveau préfet était arrivé pour le faire respecter. Et puis tout a dérapé. Quelques mois plus tard, après le plasticage de la maire de Bordeaux (fine politique en vérité) le Premier ministre Alain Juppé a envoyé balader l’accord de Tralonca et le préfet Erignac s’est retrouvé en porte-à-faux avec ceux qui croyaient en les promesses du gouvernement. S’il n’y avait pas eu la mort d’un homme et une longue litanie de drames, on considérerait avec stupéfaction l’accumulation d’erreurs, d’impréparations qui ont présidé à un acte inédit et unique dans l’histoire de la Corse.
L’autonomie oui l’indépendance même pas en rêve
Il se trouve qu’en tant que Corse, je me sens très français. J’aime sa langue. J’aime son histoire, sa littérature, sa diversité. J’ai moins de goût pour son centralisme et son amour de la parlotte. Mais la vie n’est pas un supermarché où l’on peut choisir ses bons aspects et rejeter ce qui ne plaît pas. On prend le tout ou on le refuse en se marginalisant. D’ailleurs, j’en ai autant pour la Corse dont l’aspect le plus déplaisant et le plus épuisant est sa prétention à un grand destin alors qu’elle finit toujours par se débrouiller pour échouer et refuser d’endosser ses propres responsabilités.
Il m’a souvent semblé être plus indépendantiste que ceux qui se réclamaient de ce courant d’idées participant à l’élaboration et à l’achèvement de dictionnaires, à la traduction de la Bible tandis que les instances officielles créaient commission sur commission pour ne jamais aboutir. L’important n’est pas de vouloir, mais de réussir.
C’est pourquoi je suis pour l’autonomie et que, malgré toutes mes craintes, je l’espère de tout mon cœur. L’État français ne peut pas (souvent à juste titre) se plaindre de notre médiocrité et nous entretenir dans un état qui favorise cette médiocrité. Qu’on nous laisse essayer. Si nous échouons, il sera toujours temps de faire machine arrière et les Corses seront les plus violents des juges vis-à-vis de ceux qui auront provoqué cet échec. Mais nous ne grandirons qu’à l’occasion de nos victoires et de nos échecs.
La victoire de Gilles Simeoni m’a étonné, mais, en définitive, elle me réjouit. Nous allons savoir d’abord si l’État français est capable d’intelligence ou s’il va rester immobile dans son centralisme archaïque. Et puis surtout, nous allons connaître le niveau de nos capacités. Est-ce que nous les Corses allons enfin parvenir à briser nos chaînes intérieures celles qui nous condamnent l’échec.
Alors suis-je pour ou suis-je contre ? Je suis pour l’autonomie sans l’ombre d’un doute.
Mais je continuerai de dénoncer des erreurs ou des compromissions de nos responsables qui risqueraient de nous faire chuter dans le passé.
GXC
Je profite de la trêve estivale pour donner ici un sentiment très personnel sur le nationalisme tel que je l’ai connu, mais aussi vécu. J’ai commencé à militer sur la Corse en 1974 avec l’affaire des Boues rouges. Puis j’ai continué dans le cadre de la Ligue communiste. En 1994, j’ai adhéré à la toute jeune ANC, fruit d’une scission du mouvement nationaliste avant de quitter cette organisation trois ans plus tard, après la fin de la guerre entre factions nationalistes. J’aurais donc cheminé avec cette famille de pensée près d’un demi-siècle, approuvant certaines de leurs réalisations et condamnant fermement certaines autres à commencer par les assassinats de Robert Sozzi et de Franck Muzy, préambule au conflit meurtrier entre les FLNC.
Un courant qui a permis la modernisation de la Corse
Grands souvenirs que cette mobilisation contre les Boues rouges. Nous protestions alors contre le déversement de ces déchets au mercure par la société italienne Montedison au large de la Corse. La puissance des manifestations, la détermination de leurs acteurs et puis surtout le plasticage d’un navire de la Montedison par u Fronte paesanu corsu di liberazione, donnèrent à cette campagne une portée internationale. C’était aussi d’une certaine façon la légitimation d’une violence d’autodéfense.
Le FPCL n’était qu’un minuscule groupuscule aux sympathies tiers-mondistes affirmées. Des jeunes de l’ARC avaient formé Ghjustizia paolina, autre groupe de la nuit dont les militants allaient jouer un rôle important dans la radicalisation de la situation au moment d’Aleria.
Il y avait aussi l’ARC avec à sa tête le charismatique Edmond Simeoni. Mais ce mouvement régionalistesne pesait pas lourd face aux partis traditionnels, courroies de transmission vers l’État français.
La création du FLNC en 1976, un an après la fin de la dernière coloniale, indiquait déjà le décalage de la Corse avec les luttes de libération nationale. Ce décalage trouvait une de ses explications dans l’origine politique d’une partie des dirigeants nationalistes : l’extrême-droite. Leurs parents avaient été des farouches partisans de l’Algérie française et avaient profondément meurtris par les abandons successifs de l’État français. Ce ressentiment avait nourri l’idée que l’état français était à combattre. Et puisque de petits peuples comme celui du Vietnam ou de l’Algérie avaient réussi à obtenir leur indépendance, pourquoi ne pas suivre leur exemple en mêlant la tradition corse du bandit et celle du nationaliste combattant. Les problèmes ont commencé à surgir, quand la vieille habitude de la division a percé la peau de l’unanimisme. La direction du Front a été contestée. Des secteurs ont été créés pour tenter de calmer les rivalités qui ont pris de l’ampleur et générer des conflits étroitement liés aux territoires exactement comme au XVIIIe siècle. Les confits se sont transformés en affrontements armés.
L’un des plus grands paradoxes du mouvement clandestin corse c’est que lui qui espérait un légendaire de martyr comme en Irlande ou au Pays basque ne célèbre in fine qu’un seul héros « mort au combat ». Tous les autres morts ont été victimes d’accidents ou d’embuscades tendues par leurs frères ennemis. Un seul martyr pour un demi-siècle de lutte, ça donne à réfléchir.
Les autres morts
Je dois avouer que, pris dans la tourmente de cette lutte intestine, je ne percevais pas bien les enjeux de la catastrophe. De surcroît, en grand naïf, je n’avais pas compris que les organisations nationalistes ne fonctionnaient qu’au double langage. L’organisation légale affirmait contre toute évidence ne rien à voir avec la clandestinité.
Pourtant deux assassinats parmi tant d’autres m’ont profondément marqué au point que je ne suis jamais parvenu à les dépasser : celui de Robert Sozzi en juin 1993, abattu par le Canal historique pour d’obscures raisons de manipulation du nord par le sud puis de Franck Muzy qui avait pris la tête du comité Sozzi. Je l’ai écrit alors et je ne retire pas une virgule de mes propos : c’était une infamie et une lâcheté. Ils ne représentaient aucun danger et ont servi de « cadavere eccelente » de signes d’une piste sanglante.
Le FLNC a fait applaudir sa revendication à la tribune et ceux qui ont accepté de saluer ces crimes se sont déshonorés. Le FLNC n’a jamais présenté d’excuses pour ces saloperies. Dès lors, il était à mes yeux discrédité moralement. Puis, il y eut l’affairisme, les exécutions de supposés dealers au nom de la lutte contre la drogue. Enfin, des gendarmes et des policiers furent abattus dans des conditions affreuses sans que là encore, les années passant les organisations clandestines n’expriment le moindre regret elles qui imitaient le pathos irlandais quand l’un des leurs était abattu par la faction adverse. Alors oui j’ai détesté ce type d’activités qui ne pouvaient que mener à une impasse.
Et l’impasse a été si j’ose dire l’assassinat du préfet Erignac.
Un mort significatif
Oublions les couacs du mouvement nationaliste qui après avoir bramé « Glori’à tè Yvan » a été obligé de rétropédaler quand le principal intéressé s’est dit innocent du crime. L’assassinat du préfet Erignac a autant été la démonstration de la décomposition du mouvement clandestin que celle des renoncements étatiques sous la catastrophique houlette de Charles Pasqua.
Souvenons-nous : le préfet Erignac avait été missionné en Corse juste après la pantomime de Tralonca le 12 janvier 1996. Cette conférence de presse du FLNC Canal historique avait été préparée place Beauvau au ministère de l’Intérieur (dixit plusieurs responsables nationalistes acteurs du fait) et donnait le sentiment d’un choix étatique au détriment du FLNC Canal habituel et de Resistanza. La gendarmerie faisait le service d’ordre de cette mascarade en grande partie composée de figurants payés. Un accord avait été acté entre le FLNC Canal historique et l’État.
Le nouveau préfet était arrivé pour le faire respecter. Et puis tout a dérapé. Quelques mois plus tard, après le plasticage de la maire de Bordeaux (fine politique en vérité) le Premier ministre Alain Juppé a envoyé balader l’accord de Tralonca et le préfet Erignac s’est retrouvé en porte-à-faux avec ceux qui croyaient en les promesses du gouvernement. S’il n’y avait pas eu la mort d’un homme et une longue litanie de drames, on considérerait avec stupéfaction l’accumulation d’erreurs, d’impréparations qui ont présidé à un acte inédit et unique dans l’histoire de la Corse.
L’autonomie oui l’indépendance même pas en rêve
Il se trouve qu’en tant que Corse, je me sens très français. J’aime sa langue. J’aime son histoire, sa littérature, sa diversité. J’ai moins de goût pour son centralisme et son amour de la parlotte. Mais la vie n’est pas un supermarché où l’on peut choisir ses bons aspects et rejeter ce qui ne plaît pas. On prend le tout ou on le refuse en se marginalisant. D’ailleurs, j’en ai autant pour la Corse dont l’aspect le plus déplaisant et le plus épuisant est sa prétention à un grand destin alors qu’elle finit toujours par se débrouiller pour échouer et refuser d’endosser ses propres responsabilités.
Il m’a souvent semblé être plus indépendantiste que ceux qui se réclamaient de ce courant d’idées participant à l’élaboration et à l’achèvement de dictionnaires, à la traduction de la Bible tandis que les instances officielles créaient commission sur commission pour ne jamais aboutir. L’important n’est pas de vouloir, mais de réussir.
C’est pourquoi je suis pour l’autonomie et que, malgré toutes mes craintes, je l’espère de tout mon cœur. L’État français ne peut pas (souvent à juste titre) se plaindre de notre médiocrité et nous entretenir dans un état qui favorise cette médiocrité. Qu’on nous laisse essayer. Si nous échouons, il sera toujours temps de faire machine arrière et les Corses seront les plus violents des juges vis-à-vis de ceux qui auront provoqué cet échec. Mais nous ne grandirons qu’à l’occasion de nos victoires et de nos échecs.
La victoire de Gilles Simeoni m’a étonné, mais, en définitive, elle me réjouit. Nous allons savoir d’abord si l’État français est capable d’intelligence ou s’il va rester immobile dans son centralisme archaïque. Et puis surtout, nous allons connaître le niveau de nos capacités. Est-ce que nous les Corses allons enfin parvenir à briser nos chaînes intérieures celles qui nous condamnent l’échec.
Alors suis-je pour ou suis-je contre ? Je suis pour l’autonomie sans l’ombre d’un doute.
Mais je continuerai de dénoncer des erreurs ou des compromissions de nos responsables qui risqueraient de nous faire chuter dans le passé.
GXC